1227 Eberhard d’Andlau nous écrit

Voici quelques mois nous vous avions présenté un document daté de 1196. Il y était question du règlement d’un différent entre Conrad de Lutzelbourg et l’abbesse du Mont Sainte Odile, Herrade de Landsberg. Nous nous penchons aujourd’hui sur une chartre écrite quelques trente ans plus tard. Elle est signée d’Eberhard d’Andlau et concerne la chapelle d’Ottrott-le-Bas. Voici le document que vous pouvez consulter aux Archives Départementales à Strasbourg.



Certes, le document comporte quelques déchirures, un vaste trou et un gros pâté. Tentons cependant la traduction du texte.


Nous portons cet écrit aux regards de tous ! Recevez notre salut !

Cet écrit fut institué lors de nos années heureuses, et confirmé après une délibération avisée.

Dans sa marche, le temps n’efface-t-il pas tout dans la sombre erreur de l’oubli ? Seuls les écrits sont éternels !

 

Les demandeurs sont présents, mes descendants aussi, ainsi que, moi, Eberhard de Andelahe,

avec ma fidèle épouse Gertrude, et son fils Hartmann de Racenhusen avec son conseiller et d’autres encore, nos trois héritiers. Tous sont là de leur plein gré.

Nous mettons en ordre notre testament de la façon suivante.

La chapelle de notre saint protecteur, qui se trouve à Othenrode, qui dépend de nous, a été fondée par les parents de mon épouse. Qu’elle dépende de l’église Sainte Marie du monastère inférieur de Hohenburc, afin de plaire à la mémoire de nos parents, ainsi qu’à moi-même.

« ……de messes quotidiennes et anniversaires à dire en ce lieu afin que mon épouse défunte ne soit pas oubliée…. »

Pour que cet acte soit valable devant toute procédure, cette page est revêtue de notre sceau attesté, et de celui de Hartmann de Racenhusen, de celui de Reinhard, commandant supérieur de Strasbourg, que nous avons fait certifier.

Ecrit en l’année 1227, sous le règne de l’empereur Frédéric


Nous avons opté dans cette traduction pour l’orthographe des noms propres utilisée par l’auteur.

La phrase placée entre guillemets est difficile à lire à cause de la tâche d’encre et de la perforation du parchemin. On en comprend néanmoins le sens.

Malheureusement, les sceaux mentionnés ont disparu. Voici cependant, le sceau d’Eberhard d’Andlau, apposé à une autre chartre en 1249. (Publié en 2016 dans ‘Le Haut Andlau, un château, deux tours, sept siècles d’histoire’).


‘D’or à la croix de gueules’

 

 


 

Lecture de la chartre


Nous sommes en 1227 et l’empereur régnant est le dernier des Hohenstaufen, ce Frédéric II qui surprit tant ses contemporains par sa politique, l’étendue de ses connaissances et sa magnificence.

Notre document concerne le droit de patronage de la chapelle Saint Nicolas de Nieder-Ottrott. Eberhard d’Andlau en détient les droits et les transmet au Couvent Inférieur de Saint Odile : Niedermunster. L’abbesse devait alors être Willeburgis, mais son nom n’est pas cité dans la chartre. L’abbesse n’est pas présente pour la rédaction de cet acte : c’est une affaire de famille. Eberhard veut valider cette transmission devant son épouse et son beau fils, d’une part, et devant ses propres enfants, pour éviter tout litige après sa mort.

Eberhard d’Andlau détient ces droits de par son épouse Gertrude. Il semble que les époux aient convolé en secondes noces. En effet, l’enfant de Gertrude se nomme Hartmann de Rathsamhausen. Eberhard cite également trois autres héritiers présents à cette donation. De plus, il fait allusion à son épouse défunte : lui aussi était veuf.

Ce sont les parents de Gertrude qui ont édifié notre chapelle Saint Nicolas.

Voici quelques photographies de la chapelle. Nous avons décrit l’édifice roman de Saint Nicolas d’Ottrott dans un autre article (cliquez sur le lien).

Nota : une autre chartre datée de 1222 indique que les droits de patronage de l’église d’Ottrott-le-Haut appartenait de même à Niedermunster.


Eberhard d’Andlau


Plusieurs Andlau, qui portaient le nom d’Eberhard, ont laissé trace dans l’histoire. Le plus connu, à l’époque qui nous intéresse aujourd’hui, est cité à plusieurs occasions.

– 1246 Lors de sa campagne dévastatrice de 1246, l’évêque Henri de Stahleck se venge du soutien des Andlau aux Hohenstaufen et détruit le château d’Andlau.

‘Alors l’évêque se rendit avec les Souabes en Alsace et prit toutes les villes, tous les châteaux que tenaient l’empereur Frédéric et son fils le roi Conrad. Il détruisit deux belles forteresses, Wikersheim et Cronenbourg. Il fit incendier les autres petits châteaux comme Haldenbourg, Andlau et Obernai.’

Chronique de Koenigshoven

Le château du Haut-Andlau est alors édifié ( ~1250-1264) par Eberhard d’ Andlau suite à cette violente destruction par le feu.

 

– 1262 Comme ses voisins les Landsberg, comme les Rathsamhausen, Eberhard prend le parti de l’évêque Walter de Geroldseck contre la Ville de Strasbourg. Il est fait prisonnier à la bataille d’Hausbergen et doit payer une rançon de 1000 marks d’argent.

Eberhard meurt avant 1264.

 

– Dix ans plus tard, ses fils seront investis en 1274 par Rodolphe de Habsbourg, peu rancunier, du château du Haut-Andlau.

 

Mais parlons nous du même Eberhard ?

En 1214, un Eberhard d’Andlau est témoin d’un acte de l’abbesse d’Andlau.

En 1227, un Eberhard d’Andlau signe notre acte de donation. Il parle de testament.

En 1262, un Eberhard d’Andlau livre bataille à Hausbergen.

Difficile d’imaginer qu’un même homme qui songe à tester en 1227 monte à cheval sous une lourde armure en 1262… Notre Eberhard était peut-être le père ou un oncle du bâtisseur du Haut-Andlau.


Hartmann de Rathsamhausen


Selon Spitzmann, on trouve bien un ‘H. de Ratzenhusen, advocatus de Sélestat’ à Haguenau en 1219 et à Bâle en 1227. Le prénom entier n’est pas précisé. Mais il ne s’agit pas de notre Hartmann. Les dates ne correspondent guère.

Selon le texte d’Eberhard, Hartmann n’est certes plus un enfant en 1227. Il est présent lors de la donation. S’ il dispose de l’aide d’un conseiller, il appose son propre sceau sur la chartre. Ce doit être un tout jeune homme.

Toujours selon Sitzmann, , on trouve trois Rathsamhausen à Kintzheim en 1267 : Frédéric, Philippe et Hartmann décident de ne pas aliéner le château de ‘Kunegesberg’. S’agit-il là de notre jeune Hartmann qui consignait avec son beau père la chartre de cession de la chapelle Saint Nicolas d’Ottrott ? Quarante ans plus tard, pourquoi pas ?

 

Quoiqu’il en soit, cet Hartmann, jeune homme en 1227, est le premier Rathsamhausen à être cité dans les textes à Ottrott. Ottrott, où les Rathsamhausen possèderont plus tard deux magnifiques forteresses, dont l’une d’elles porte encore fièrement le nom.


Gertrude


Venons en à Gertrude, dont Eberhard nous dit qu’elle était fidèle. Soit !

En 1227, Gertrud était mariée à un Andlau. Auparavant, elle l’était à un Rathsamhausen. Ses parents avaient construit la chapelle Saint Nicolas à quelques pas du vieux château roman de Nieder-Ottrott, l’Altkeller. Ce devaient être des gens fortunés, importants et très liés à Ottrott. La seule famille que nous connaissions qui remplissent ces conditions est la Famille de Lutzelbourg.

Rappelez vous la charte de 1196 citée plus haut. Conrad de Lutzelbourg réglait alors ses démêlés fiscaux avec Herrade de Landsberg. Le nom de cette famille disparue est resté jusqu’à aujourd’hui au deuxième château d’Ottrott.

Au dessus d’Ottrott, en 1227, il n’y avait encore que le magnifique donjon-palais, son logis et sa petite cour carrée. Gertrude était peut-être la fille de Conrad de Lutzelbourg, ou tout du moins un membre de sa famille ?

Etait-elle la dernière des Lutzelbourg ? Habitait-elle le château qui dominait le village ? ou bien, se logeait-elle dans le village même, à l’ Altkeller, ce château d’Ottrott-le-Bas dont on voit encore les vestiges dans le parc de Wineck ?

 

Beaucoup de questions, me direz-vous. J’en conviens, mais quoiqu’il en soit, il semble bien que ce soit par les deux mariages successifs de Gertrude que les Andlau et les Rathsamhausen aient le mis le pied à Ottrott, où régnaient jusqu’alors les Lutzelbourg. Les Rathsamhausen n’en repartiront qu’à la Révolution Française !


Sources


  1. Gyss, Histoire de la Ville d’Obernai, 1866

Fr.E. Sitzmann, Dictionnaire de biographie des hommes célèbres d’Alsace, 1909

  1. Mengus, Les sires d’Andlau au temps des châteaux forts, 2016
  2. Rudrauf, L’histoire du château de Haut-Andlau, 2016

Illustrations


Chartre de Eberhard d’Andlau, ADBR G3070/2

Sceau d’Eberhard d’Andlau, ADBR G1659/2

Schéma des deux Ottrott, PiP

Photographies, PiP


L’Altkeller de Niederottrott


Terminons par quelques images de l’Altkeller.

Les ruines du château roman, appelé communément Altkeller, sont situées dans le parc du château de Windeck. Elles ont été ‘remodelées’ par la famille de Dartein et forment un ensemble très romantique, entourées d’une petite pièce d’eau. Louis Laurent-Atthalin, amplement cité sur notre site, résidait au Windeck lors de ses séjours en Alsace.

L’histoire et les ruines de l’Altkeller méritent plus que ces quelques images, nous leur consacrerons un article prochainement.