Châteaux d’Ottrott : une aquarelle du XVème siècle

En fin d’année 2017, Jean-Paul, bénévole des Amis des Châteaux d’Ottrott m’a fait parvenir une coupure de journal fort intéressante. L’article, tiré d’une revue de chasse, et est intitulé ‘Les chasses des seigneurs alsaciens au moyen âge’. Il est signé par Philippe Jehin, historien bien connu à Strasbourg. Deux illustrations accompagnent le texte. Nous allons nous intéresser aujourd’hui à l’une d’elles.

L’aquarelle du Rathsamhausen

Dans la revue, l’aquarelle est sous-titrée ‘Des châteaux forteresses et relais de chasse’, sans donner plus d’informations. Nos lecteurs et amis des châteaux d’Ottrott examineront un instant cette image et reconnaîtront d’emblée la silhouette du château de Rathsamhausen !

Le dessin est fort ancien, les couleurs aquarelles ont passé au fil du temps. Mais l’essentiel est sous nos yeux. Le plan d’ensemble du château est respecté : le donjon-palais, le donjon circulaire, le logis, la tour de flanquement des murailles, la barbacane… tous les éléments du château sont présents et bien en place. L’artiste devait se trouver légèrement au dessus de la Maison Forestière pour avoir cet angle de vue ! A notre connaissance, nous sommes devant la représentation la plus ancienne du château de Rathsamhausen.

Le Manuscrit Ms 491 de la Bibliothèque de Colmar

Intéressons à la provenance de cet dessin.

La Bibliothèque Municipale de Colmar possède une collection de manuscrits anciens. Le volume Ms 491 regroupe plusieurs œuvres dans un même volume. On y trouve d’une part un incunable de Valturius consacré à l’art de la guerre ‘De re militari’ publié en 1482 à Vérone. Puis nous trouvons le document d’où est tiré notre aquarelle : il s’agit d’une copie manuscrite du Bellifortis de Conrad Kyeser.

Conrad Kyeser (~1366, ~1405)est originaire d’Eichstadt en Franconie. Il compose, en latin, son Kriegsbuch, le Bellifortis, vers 1400. Il s’agit d’une encyclopédie militaire, qui comporte de nombreuses illustrations fort précises sur les armes utilisées à cette époque. Nous avons sur notre site souvent proposé des images tirées du Bellifortis : armes, canons, chars de guerre, procédés d’attaque, de défense. Ce livre connaît un grand succès et Conrad fait effectuer des copies nombreuses, qui sont à leur tour recopiées, remaniées.

Le manuscrit de Colmar est une de ces copies. Reliée avec l’incunable de Valturius, elle lui est donc antérieure. Notre dessin du Rathsamhausen date du milieu du XVème siècle :1450-1460.

La copie Ms 491 est composée de 79 feuillets de format 305×200 mm , douze sont déchirés. Le texte de Kyeser est reproduit en latin et en allemand. Les illustrations sont nombreuses, une par feuillet ; les dessins sont réalisés à la plume et mis en couleurs à l’aquarelle. Notre dessin est une des illustrations ajoutées par le copiste, à notre connaissance, elle ne figure pas dans le manuscrit du Bellifortis de la Bibliothèque de Göttingen (N°64).

Analyse succincte de l’aquarelle

Nous l’avons dit plus haut, le plan de masse du château est respecté. Les fossés semblent plus profonds, c’est une liberté prise par l’artiste, semble-t-il.

Le donjon-palais

L’immense donjon est bien rendu avec son sommet crénelé. La grande bretèche sud est représentée, couverte et fermée comme il se doit. Curieusement, elle se prolonge sur le mur ouest. Ceci ne correspond pas à ce que nous voyons sur le site.

Le logis

Le logis est bien situé, à l’est du donjon-palais. La toiture est bien orientée, le pignon est élégant, souligné d’un trait double et la pointe est décorée d’une sphère.

Le bergfried, donjon circulaire.

Bien localisé, le donjon semble un peu bas, sans doute un effet de perspective. Il est crénelé, comme il se doit et surmonté d’une toiture, comme indiqué sur l’étude de Thomas Biller. Les hourds ne sont pas représentés. Peut-être n’étaient-ils plus présents en1450.

La tour de flanquement

Bien située, la tour porte des créneaux fort crédibles, mais dont nous ne trouvons plus la trace aujourd’hui.

Les chemises

Les hautes murailles à l’est et au nord du château sont couvertes par des hourds, ces chemins de ronde construits en bois. Les nombreux corbeaux encore en place au château montrent que c’était bien le cas.

Les braies

Elles ne sont représentées que sur la partie sud, alors qu’il en existait bien au dessus du fossé ’ouest. La construction de celles-ci peut être postérieure à notre aquarelle. Elles portent merlons et créneaux. Une petite bretèche est accrochée devant le logis. Sur le site, il semble plutôt qu’elle fut fixée sur le mur du logis, juste un peu plus haut.

La barbacane

La barbacane est dessinée avec deux portes et deux petites tours. Un petit bâtiment s’appuie sur sa muraille à l’ouest. Cette disposition ne correspond guère à ce que nous voyons aujourd’hui. D’amples modifications de la barbacane ont pu être effectuées au fil des temps. Charles-Laurent Salch mentionne ces évolutions dans ses ouvrages.

 

Aucun doute, la copie du Bellifortis de Colmar présente bien fidèlement le château Rathsamhausen tel qu’il était au milieu du XVème siècle, après ses adaptations à l’apparition de l’artillerie.

Deux personnages sont juchés, l’un sur le chemin de ronde du donjon-palais, l’autre sur la tour de flanquement. Celui de gauche sonne du buccin, une sorte de trompette droite. Le deuxième semble jouer du ‘sacqueboute’, cet ancêtre du trombone à coulisse. Les deux instruments sont ornés d’un oriflamme.

Annoncent-ils l’arrivée de visiteurs au château . Ou bien accompagnent-ils de leur jeu une chasse menée par les seigneurs alors propriétaires des châteaux d’Ottrott : les Hohenstein et les Rathsamhausen ?

 

Merci à monsieur Philippe Jehin qui m’a fort aimablement procuré la documentation nécessaire à ce petit article.

Avant notre découverte, merci Jean-Paul, l’image la plus ancienne que nous possédions des châteaux était la lithographie de Silbermann, publiée en 1781. Les châteaux étaient déjà des ruines.

Illustrations

Le Rathsamhausen, Ms 491, Bibliothèque Municipale de Colmar, ~1450

Images tirées du Bellifortis de Keyser, ~1400

Photographies, PiP

Plan de masse, PiP

Lithographie publiée par Silbermann, 1781

Sources

Thomas Biller, die Ottrotter Schloesser Band 2, 1975

Charles Laurent Salch, Le château de Rathsamhausen-Ottrott, 1974

Catalogue Général des manuscrits des bibliothèques publiques de France, Tome LVI, Colmar