1625 L’héritage de Hans-Caspar de Rathsamhausen

Le mardi 1 mars de l’an 1625, Johann Georg Kirscher, notaire, termine et signe un document fort épais. Pas loin de 600 pages manuscrites, d’une écriture soignée, détaillent la succession du chevalier Hans-Caspar de Rathsamhausen. Ce document, à notre connaissance inédit à ce jour, est intéressant à plus d’un titre. Laissez-nous vous en dire quelques mots.

Comment le manuscrit de 1625 nous est-il connu ?

Voici quelques mois, les ‘Amis des Châteaux d’Ottrott’ reçoivent un message venant du nord de l’Allemagne, de Hambourg plus précisément. Monsieur Mathias Nagel nous écrit, il vient d’acquérir un manuscrit ancien qui concernerait nos châteaux. Après une première lecture rapide, Monsieur Nagel nous expliquait que le document était un inventaire des biens du chevalier Hans-Caspar de Rathsamhausen, écrit après son décès en 1625, en vue du partage entre ses enfants.

Voici la page de garde du dit document.


Theilbuch, page de garde

Le préambule du texte de 1625

Les trois premiers feuillets du manuscrit nous donnent les noms des cinq héritiers de Hans-Caspar et leurs qualités. En voici la traduction.

Qu’on le sache ! Après le décès de Hans Casper de Rathsamhausen-Ehenweier, chevalier de la noblesse de Basse-Alsace, qui fut en son temps noble, vaillant et fort, les biens de sa succession ont été expertisés, valorisés, inventoriés, estampillés et consignés par un conseil et une commission avisés.

De plus, ont comparu en présence de maître Joachim Zittelin, juré de la Ville de Strasbourg, négociant, et de moi-même Johann Georg Kürschner, notaire, les deux frères Wolff Dieterich et Hans Friederich de Rathsamhausen, également de bonne noblesse et sévères, ainsi que la dame Bersabea, de bonne renommée et fort vertueuse, épouse du junker Hanns Reinhard Wurmser de Vendenheim, membre du conseil princier de Würtemberg, et fonctionnaire en chef du comte et de la seigneurie de Harburg et de Reicheweyher, son représentant, ainsi que la dame Maria Cleophe, épouse du Junker Ludwig de Breüningen zu Buchenbach, ainsi que la demoiselle Judith, assistée par le Junker Christoff de Mülnheim, son curateur. Tous les cinq sont les enfants issus du Junker suscité, bienheureux et honoré, et de la très vertueuse et noble dame Maria Widergrünin de Stauffenberg. A nous tous, il est apparu, selon l’opinion et le projet de l’honorable Junker Hans Caspar de Rathsamhausen, cité plus haut, d’accepter et de prévoir un partage de la succession du père et beau-père des Junkers cités plus haut.

La manière dont le partage doit se passer, ainsi que ce qui revient à chacun, a été décrite précisément, comparée et traitée équitablement, par moi-même, notaire cité en tête et fin de ce document, selon les souhaits formulés. C’est ainsi que ce présent livre de partage a été préparé et rédigé.

Acté, ce mardi  premier du mois de mars dans l’an de notre seigneur 1625.

Johann Georg Kirscher, Notaire’

Transcription Mathias Nagel – Traduction PiP

Hans-Caspar de Rathsamhausen était membre la branche Rathsamhausen – Ehenweier. Son épouse était Maria Wiedergrün de Staufenberg. Hans et Maria laissaient deux fils et trois filles.

  • Wolf-Dietrich
  • Hans-Friedrich
  • Bersabea avait épousé Hans-Reinhard Wurmser de Vendenheim
  • Maria Cleophe avait épousé Ludwig de Breuningen zu Buchenbach
  • Judith n’était pas mariée à la mort de son père et était représentée par son tuteur Christof de Müllenheim.

Visiblement, Hans-Caspar n’avait pas rédigé de testament et c’est le notaire et son équipe qui procèdent au partage à l’aide de l’inventaire (Theilbuch) qui va suivre. Conformément aux us de l’époque, les épouses des deux frères ne sont pas mentionnées, par contre les trois filles sont représentées par leur maris et leur tuteur.


Les Châteaux d’Ottrott

Les biens mobiliers de Hans-Caspar et de son épouse

Le notaire Kirscher et son équipe ont réalisé un travail énorme ! Tous les biens de Hans-Caspar ont été inventoriés. Le niveau de détail explique l’épaisseur du manuscrit et peut surprendre. Sont répertoriés aussi bien les meubles, que le linge de maison, draps, tentures, coussins, les bijoux, l’argenterie, les étains, les cuivres, toute la vaisselle et les couverts, mais aussi les tonneaux… tout les biens immobiliers, en fait.

Voici une page de ce long inventaire.


Page de garde de la section bien mobiliers

Les éléments sont marqués et partagés entre les frères et sœurs, enfants du défunt. Chaque pièce est décrite précisément. Par exemple, pour le linge de maison, notre notaire indique aussi bien la nature du linge (lin, drap ou autre) que sa couleur et le type de décor. Pour les meubles, la nature du bois employé est indiquée.
Une analyse précise du document par un spécialiste permettrait de se faire une idée de la vie de Hans-Caspar et de son épouse Marie au début du XVIIème siècle.

Les biens immobiliers de Hans-Caspar et de son épouse

Pour notre part, nous nous sommes intéressés dans un premier temps aux diverses propriétés bâties que possédait Hans-Caspar. L’inventaire fait état de cinq ‘maisons’.

Les trois maisons de Sélestat

Hans-Caspar possédait trois maisons à Sélestat :

  •  Une première maison à Sélestat, qui revient à son fils Wolf-Dietrich. Voici son descriptif.

une maison noble et sa cour, comprenant une grange et des écuries, ainsi que tous les droits associés et les dépendances. Maison située dans la ville de Sélestat dans la ruelle des Bouchers, derrière l’ancien marché aux bestiaux, avec d’un coté les biens hérités de Bläss Rieser, et de l’autre le mur d’enceinte de la ville. Ce bien est libre de droits, il est estimé à 1000 livres.’

Transcription Mathias Nagel – Traduction PiP

  • Une deuxième maison à Sélestat qui va à son fils Hans Friedrich.

‘Une maison noble, cour, granges et étables et un petit jardin, ainsi que l’ensemble des droits qui lui sont liée et ses dépendances. Maison située dans la ville de Sélestat en face de Saint Jean, sise à côté de chez la veuve vénérable d’Heinrich Sebss, de l’autre coté de chez Marx Haller. Estimée à 750 livres.’

Transcription Mathias Nagel – Traduction PiP

  • Une troisième maison à Sélestat, qui revient à leur sœur Bersabea.

‘Une maison noble, grange et étable, ainsi que ses dépendances, dans la ville de Sélestat , située dans la ruelle des Bouchers, de part et d’autre, à coté de chez la vénérable veuve de Clauss Hammerer et de l’autre côté, près de chez l’abbé Hannss, attaché à Saint-Jean. Estimée à 500 livres.’

Transcription Mathias Nagel – Traduction PiP

La maison de Strasbourg

Une maison à Strasbourg, qui revient aux sœurs Maria-Cleophe et Judith.

‘Une moitié de la maison noble et ses dépendances, situées dans la ville de Strasbourg, derrière le ‘Bruderfoff’, entre l’arrière des ateliers des écrivains et les biens du maire de Strasbourg Junckher Clauss Jacob Wurmsser . Devant, elle donne sur les ruelles, par l’arrière sur une petite ruelle communale. Libre de tout droit. Estimée à 1500 livres.’

Transcription Mathias Nagel – Traduction PiP

Note : Le Bruderhof correspond actuellement au Grand Séminaire. La maison en question semble être l’actuel ‘Hôtel des Dames d’Andlau’ située rue des Ecrivains.

Le logis (Behaussung) situé à Ottrott-le-Bas

Un dernier bien immobilier est cité dans notre ‘Theilbuch’. Dans le texte de notre brave notaire se retrouve nommé à plusieurs reprises ‘die Behaussung’ d’Ottrott-le-Bas. Nous traduirons ce terme par le ‘logis’ en essayant d’en savoir plus. De quel bâtiment parle-t-on ? Pas facile de décrypter le texte. Le lecteur pense d’emblée aux deux fermes possédées par la famille de Rathsamhausen puisque le notaire situe explicitement le bien à Niederottrott.

Le chapitre concernant les biens immobiliers de Hans-Caspar commence par cette phrase :

De ces biens (immobiliers), doit être mis à part le logis de Nieder-Ottrott et ses dépendances, décrites folio 229 de ce manuscrit. Ce bien sera partagé par ailleurs entre les nobles héritiers. Estimation 375 livres.

Voici une demeure estimée à une bien piètre valeur marchande en considération des quatre autres maisons citadines. Par contre la formulation adoptée, le fait qu’elle soit traitée de façon spécifique indiquent qu’ elle semble avoir une certaine importance. Voyons plus avant.

Voilà sa description, telle qu’elle apparaît dans le manuscrit :

La maison, la ferme, ainsi que la cave, le cellier (son pressoir), l’étable et un jardin, ainsi que tous les droits attenants, situés dans le village d’Ottrott-le-Bas, comme indiqué dans l’inventaire en folio 229, est restée telle que dans l’inventaire préliminaire, et de ce fait elle est comptée à chacun des héritiers à hauteur de un cinquième soit 75 livres. Mais celle-ci, tirée au sort entre les Junker héritiers, est revenue à Wolf-Dietrich qui est donc devenu redevable à chacun de ses co-héritiers de 75 livres.

Nota : Le Jüncker Wolf-Dietrich a transmis cette dite-maison à la demoiselle Judith, sa sœur, en remboursement d’une dette de 1000 (Reichstaler) qu’il lui restait à payer pour la ferme de Kühnheim, voir folio 272.

Transcription Mathias Nagel – Traduction PiP

Le texte ne décrit pas précisément les lieux. La ferme, la cave, l’étable, les jardins ne peuvent qu’être les bâtiments situés dans le village, mais la ‘maison’ elle-même ? Il semble au regard de l’indivision puis du tirage au sort entre les héritiers qu’elle ait une valeur certaine, pour le moins symbolique pour la famille. Par contre les 375 livres annoncées la ramène à peu de chose.

Nous serions tentés de penser qu’il puisse s’agir du Château de Rathsamhausen lui-même. Cependant le terme de ‘Behaussung’ semble alors inapproprié. Le notaire aurait utilisé plutôt l’intitulé ‘Veste’, voire ‘Schloss’. Nous avons consulté à ce sujet Bernhard Metz, merci à lui. De nos échanges, il ressort deux points essentiels :

  • Les ‘Theilbücher’ étaient systématiques pour les successions à Strasbourg à cette époque et servaient outre pour à succession à vérifier les déclarations de fortune que le défunt avait faites au fics de son vivant.
  • Les châteaux n’entraient pas en compte dans le partage d’un héritage : ils passaient en tant que fief directement à l’aîné des fils du défunt, ou à un frère à défaut de descendance mâle. Dans notre cas, le château reviendrait à  Wolf-Dietrich.

Le ‘Behaussung’ d’Ottrott-le-Bas serait alors une des deux cours que les Rathsamhausen possédaient dans le village. Voire les deux.

Selon la note sibylline ajoutée par le Notaire, une entente entre les héritiers a lieu et Wolf-Dietrich renonce à ce bien au profit de sa jeune sœur en échange d’une remise de dette. C’est Judith, la cadette, qui devient la maîtresse des lieux

Mais qu’en était-il alors de nos châteaux de Rathsamhausen et de Lutzelbourg ?

Les châteaux d’Ottrott en 1625

Nous sommes alors, en pleine Guerre de Trente Ans. Les troupes de Mansfeld ont pris Obernai et réduit en cendres le village d’Ottrott. Quelques années plus tard, ce seront les Suédois qui occuperont les lieux. Nous avons raconté par ailleurs la canonnade subie par le château de Rathsamhausen lors de cette guerre.

Façade est du donjon-palais du Rathsamhausen .
Les impacts de la canonnade sont indiqués, ainsi que l’arrachement de la toiture inversée, implantée après la Guerre de Trente Ans.

Les Rathsamhausen sont alors en possession des châteaux de Rathsamhausen et de Lutzelbourg et de deux cours franches situées dans le village d’Ottrott-le-Bas. En 1625, après le passage de Mansfeld, il semble que le château de Rathsamhausen soit dévasté : le magnifique donjon-palais a été bombardé, les toitures, les planchers des étages se sont effondrés. Le logis doit, lui-aussi, être détruit. Inhabitable, pour le moins, la forteresse est en piteux état.

Wolf-Dietrich de Rathsamhausen est sans doute à l’origine de la dernière campagne de restauration d’une part du château. Celle-ci verra reconstruire le logis du château de Rathsamhausen dans sa dernière version, en inversant la direction des toitures.

Que savons nous des Rathsamhausen au début du XVIIème siècle ?

Outre le manuscrit découvert par monsieur Mathias Nagel, nous avons quelques éléments permettant d’en dire  plus sur la famille de Rathsamhausen à cette époque.

Hans-Caspar était le fils de Conrad-Dietrich de Rathsamhausen (+1573) et de Katharina de Müllenheim. Il avait un frère du nom de Georg-Melchior (+1613), marié à une Anna Bock. Hans-Caspar est cité pour plusieurs transactions dans les notules 930- 961–1029–1124 du Chartrier de Niedernai.

Son fils Wolf-Dietrich se marie avec Maria d’Andlau. Ils sont cités aux notules 1038-1169 du même chartrier.

En 1621, l’empereur Ferdinand II investit Hans-Caspar de Rathsamhausen, Jacob, son cousin,  et Conrad-Dietrich de Rathsamhausen du fief suivant :

  • le château (vesten) de Lutzelbourg, il s’agit du château appelé aujourd’hui Rathsamhausen. Le Lutzelbourg voisin n’est même pas cité, il devait déjà être abandonné.
  • une partie d’Ottrott ‘zu dem niderndorff’, avec deux cours franches
  • la juridiction sur les gens d’Ottrott,
  • cens et biens à Obernai, Bernardswiller, Meistratzheim et Saint-Nabor,
  • rentes en vin et en argent sur le village de Dangolsheim (Danckersheim)
  • rentes en grain, argent, chapons, poules, à Wasselonne
  • rente de 3 livres au Cronthal (à Wasselonne)
  • la moitié du village de Zeinheim (Zenhaimb), dont l’autre moitié est à l’évêque de Strasbourg
  • le château de Waldsberg (= Hagelschloss) avec ses dépendances
  • le village et la forêt de Hohenburgweiler, aujourd’hui Willerhof
  • le château de Dreistein (zu den dreÿen steinen), avec forêts, pâturages, droit de pêche et de chasse.

Même en ces temps troublés, en pleine Guerre de Trente Ans, Hans-Caspar et les siens avaient à cœur de faire reconnaître leurs biens et droits par l’empereur lui-même. A noter qu’en 1625,  le Dreistein était en ruines et abandonné depuis longtemps, le Hagelschloss rasé depuis 1406,  Hohenburgweiler n’était plus qu’un souvenir : Hans-Caspar ne revendiquait que ses droits sur les forêts et les terres. Les nombreux procès entre la famille et la Ville d’Obernai, cités par Joseph Gyss dans son livre relatant l’histoire de la Ville d’Obernai, en font foi.

Quant à Judith, la cadette des enfants de Hans-Caspar, encore mineure lors du décès de son père, sachez qu’elle se maria par la suite avec Wolf-Wilhelm d’Andlau. Elle fut accusée par ses beaux-frères d’avoir vendu à son profit les meules du moulin castral de Valff. Judith résidait alors avec son mari au château de Valff, sans doute plus confortable que notre cher Rathsamhausen au sortir de la Guerre de Trente Ans.


Château de Rathsamhausen
à gauche le bergfried, restauré en 2019 par les AmChOtt,
à droite le donjon-palais où tout reste à faire.

Sources

Illustrations

  • Photographies du manuscrit, Mathias Nagel
  • Photographies du château de Rathsamhausen, EtF
  • Photographie du blason, PiP
  • La Famille de Hans-Caspar, PiP

Blason des Rathsamhausen, dans une rue du village d’Ottrott-le-bas

Merci à monsieur Mathias Nagel qui a découvert le manuscrit de l’inventaire des biens de Hans-Caspar de Rathsamhausen.

Mille mercis à lui de nous autoriser cette courte publication, fruit de ses recherches. Merci également pour les images du manuscrit.