Les blasons du Lutzelbourg

Nos châteaux d’Ottrott ont conservé, outre leurs trois donjons et deux tours, deux logis du moyen âge, toujours majestueux et pleins d’enseignements. L’article de ce jour est consacré aux pierres sculptées, portant des armoiries, toutes situées dans le logis du château de Lutzelbourg.

 

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La salle d’apparat du logis nord du Lutzelbourg


Le Lutzelbourg fut érigé au cours du XIIIème siècle. Tous les historiens et archéologues en conviennent. Certains penchent pour une bastille dédiée à une attaque du château voisin de Rathsamhausen lors de l’Interrègne, d’autres pour un simple partage du site lors d’une succession. Dés sa construction, le Lutzelbourg était doté d’un logis, adossé à la muraille sud de la forteresse, qui abritait le seigneur.

Le logis nord ne fut construit que plusieurs dizaines d’années plus tard. C’est de loin la partie la mieux conservée et la plus intéressante du château. Trois étages adossés à la muraille nord, et au deuxième étage, une grande salle d’apparat. C’est dans cette salle que nous allons trouver les corbeaux armoriés, fierté de notre Lutzelbourg !

Si le rez-de-chaussée du logis était divisé en deux parties, l’étage supérieur semble d’un seul tenant : quinze mètres sur six ! Le plancher était porté, côté nord, par une ligne de corbeaux, et côté sud, par un retrait sur le mur. Le plafond était posé, sur les deux versants, par deux lignes de corbeaux. La salle devait être magnifique !

Versant sud, trois fenêtres rectangulaires, bien conservées. Versant ouest, une baie donnait sur la cour. Mur aveugle au nord et accès à une bretèche à l’est. Pas de cheminée, le logis devait être chauffé par des kachelofen.


Les corbeaux armoriés du Lutzelbourg


Dans cette grande salle, cinq corbeaux sculptés attirent l’attention. Ils sont situés en dessous de ceux, fonctionnels, qui portaient le plafond, et n’ont pas d’utilité apparente. Tous portent des écussons. Nous allons tenter de les lire…

-corbeaux

Commençons par les plus faciles… Répertoriés sur notre schéma, C2 et C4, les corbeaux ne portent qu’un seul blason que nos lecteurs assidus auront reconnu : ‘D’argent à la face de sinople, à la bordure de gueules’, il s’agit des armes des Rathsamhausen. Ces armoiries se retrouvent, parmi d’autres, sur les corbeaux C3 et C5.

En second lieu, regardons avec attention les corbeaux C3 et C5, ils semblent bien lisses aujourd’hui, mais nos anciens y ont décelé l’ ‘échiqueté d’argent et de gueules’ des Hohenstein. ( Cf. Max Herbig, Thomas Biller). Il ne semble cependant pas que les Hohenstein aient été les maîtres du Lutzelbourg. Alliés des Rathsamhausen, ils seront de 1424 à 1477, les seigneurs du château voisin qu’ils achètent alors pour la somme de 1200 florins.

Beaucoup moins explicite ce pal du corbeau C1, que l’on retrouve sur C3. Nous ne trouvons pas d’explication, pas de lignée alsacienne avec cet emblème. Max Herbig propose cependant les Andlau, sans nous convaincre.

Quelle pouvait bien être l’utilité de ces corbeaux sculptés situés au beau milieu d’une paroi ? Soit une parure, une simple affirmation de la puissance des familles par leurs armes, soit l’appui de poutres portant des tentures et permettant de s’isoler dans les angles de la somptueuse pièce de ce logis médiéval. Sans doute les deux ! Imaginez !


L’histoire du Lutzelbourg aux alentours de l’an 1400


Selon T. Biller, les Rathsamhausen étaient déjà présents au Lutzelbourg en 1367. Selon Herbig, puis Salch, le château fut détruit par les Grandes Compagnies vers 1375, sans que nous n’en retrouvions la moindre trace dans les documents de l’époque…

En 1383, l’empereur Wenceslas demande à la Ville d’Obernai de protéger les droits de Dietrich de Stein et de ses frères de Rathsamhausen à Ottrott. La même année, les Rathsamhausen entrent en conflit avec la Ville pour des dégâts dans la forêt. Les familles de Stein et de Rathsamhausen semblent être liées.

En 1392, à la mort de Diebolt de Rathsamhausen, sans enfant, le Lutzelbourg passe aux frères Hartmann, Egelolf et Johan de Rathsamhausen. Il y a alors conflit juridique entre les Andlau et les Rathsamhausen.

1392 : inféodation aux deux frères d’Andlau par l’empereur Wenceslas

Le château de Lutzelbourg est alors qualifié de ‘Burgstall’…. Il serait en ruines.

1393 : inféodation aux trois frères de Rathsamhausen par le même Wenceslas

1398 : investiture de Jérothée et Dietrich de Rathsamhausen

 

Il ne semble pas que le château soit l’objet de lutte armée, mais plutôt de conflit de droit entre deux familles alliées depuis de longues années. Les Andlau et les Rathsamhausen n’ont–ils pas fondé et transmis, ensemble, la chapelle Saint-Nicolas de Nieder-Ottrott à l’abbaye de Niedermunster dès 1227 ? Eberhard d’Andlau et Gertrud de Rathsamhausen étaient alors époux et régnaient sur Nieder-Otrrott.

 

Toujours est-il que le ‘Burgstall’, la ruine, est relevé de manière somptueuse dans les années proches de 1400 par les Rathsamhausen qui bâtissent ce logis nord et cette vaste salle d’apparat. Ils l’ornent de leurs armoiries, et vraisemblablement, à moindre mesure, de celles des familles alliées. Voilà l’origine des corbeaux armoriés de la grande salle du logis nord du Lutzelbourg !


Encore des sculptures au Lutzelbourg


Nous avons la chance de posséder dans le même château deux autres sculptures étonnantes. Tout d’abord, à l’extérieur du même logis, là où court la longue frise lombarde, à son angle sud-ouest.

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Le palais était orné sur trois faces de cette frise de demi couronnes taillées dans un seul bloc, posée sur une ligne de corbeaux. Une bonne partie est fort heureusement conservée. Thomas Biller indique avoir retrouvé ce décor au Kastelburg (Eifel) et au Zwingenberg (Neckar). Ces châteaux, historiquement datés, permettent de confirmer le début du XVème siècle pour le logis du Lutzelbourg.

A l’angle, bien en évidence, la frise est rehaussée par une pierre sculptée portant sur ses deux faces, l’écusson des Rathsamhausen. Au dessous de cette pierre, un cercle prolongé d’un axe est également gravé, peut-être la marque du maître d’œuvre du palais.

 

Terminons par l’accès au château. De la barbacane, une longue rampe mène à une première porte avec un arc surbaissé. Cette porte devait être précédée par un petit pont-levis. Au-dessus de l’arche d’entrée, une frise réalisée en briques rappelle le motif de celle du palais. A mi hauteur, une petite niche en forme d’amphore est taillée dans le grès. Elle devait contenir une statue de petite taille, voire un emblème… peut-être l’image d’un saint protecteur des lieux. Sous la niche, fort érodée, l’observateur attentif discernera une aigle sculptée dans la pierre. Cet emblème fut vraisemblablement martelé, c’est bien regrettable ! Cet aigle nous rappelle que le Lutzelbourg était alors fief impérial !


Sources


Joseph Gyss, Histoire de la Ville d’Obernai, 1866

Max Herbig, die Ottrotter Schloesser, 1903

Thomas Biller, Lützelburg, dans Burgen und Schlösser, 1973, pages 83-93

Charles Laurent Salch, les deux châteaux d’Ottrott, 1992


Illustrations


Schéma de localisation des sculptures, PiP

Photographies, PiP

Restitution des armoiries des Rathsamhausen et des Hohenstein, PiP

Relevé des écussons de Thomas Biller

 

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