Les Amis des Châteaux d’Ottrott œuvrent pour la sauvegarde des deux ruines qui dominent la commune. Lors de l’entretien du site, il nous arrive de découvrir des objets du passé. Soyons clairs ! Nous ne sommes pas habilités à fouiller les châteaux : ce travail ne peut être conduit que par les archéologues lors de campagnes de fouilles autorisées. Mais parfois, le vent ou le ruissellement des pluies mettent à découvert quelques fragments d’objets anciens. Témoin cette découverte de notre ami Charles.
Il s’agit d’un fragment d’un carreau de kachelofen.
Souvent, les visiteurs se montrent surpris lorsqu’ils visitent les ruines de nos châteaux forts d’Alsace par le peu de cheminées qu’ils y trouvent ! Pas de vestige de cheminée dans le Lutzelbourg ! Seulement trois cheminées pour l’ensemble du donjon-palais du Rathsamhausen. Pourtant, l’hiver, il devait faire bien froid dans les vastes salles qui avaient plus de quatre mètres de hauteur ! Rassurez-vous les seigneurs de ces temps lointains ne devaient pas se contenter des foyers ouverts des quelques cheminées d’apparat qui ornaient les logis. Dés le haut moyen âge, nos châteaux étaient pourvus de poêles. Ce furent d’abord des poêles à pots, avant de devenir ces kachelofen, nos poêles recouverts de carreaux de faïence, encore bien présents en Alsace, ceux qui nous tiennent bien chaud même au plus profond des hivers les plus rigoureux.
(Nous traiterons spécifiquement des diverses méthodes de chauffage employées dans les châteaux d’Ottrott dans un prochain article.)
Revenons à la trouvaille de mon ami Charles. Le fragment mesure environ 11 cm sur 7. Le carreau lui-même devait être carré et mesurer quinze centimètres de coté. Voyons, avec l’aide des outils informatiques appropriés, à quoi pouvait ressembler notre carreau vernissé.
Bigre ! Nous voici devant un emblème bien connu en Alsace : la Rose des Müllenheim ! Ne soyez pas surpris, les Müllenheim furent bien les propriétaires du Rathsamhausen au quinzième et au seizième siècles. Un superbe Kacheloffen portant leurs armoiries devait alors trôner dans la salle de réception du château !
La trouvaille de Charles est l’occasion de dire un mot de l’histoire du château au temps des Müllenheim. Nous tenterons aussi de donner une idée de son aspect d’alors.
Début du quinzième, au château, avant les Mullenheim, les Hohenstein
En 1424, Henri de Hohenstein achète le château aux Rathsamhausen et un tiers du village de Nieder-Ottrott pour la somme de 1200 florins. Quelque cinquante ans plus tard, Jacques de Hohenstein transmet le château à son gendre Daniel de Müllenheim. Il s’agit en fait de la dot de sa fille.
En 1477, la transaction est reconnue par le comte palatin Philippe.
Nos lecteurs intéressés par la période des Hohenstein peuvent se reporter aux articles suivants :
- Rodolphe de Hohenstein enlève l’évêque Berthold de Bucheck à Haslach
- Le Complot du Guirbaden
- Le squelette des oubliettes du Rathsamhausen
Les Müllenheim au château de Rathsamhausen 1477-1553
La famille des Müllenheim est une des plus puissantes familles aristocratiques d’Alsace. Ses membres étaient fort nombreux et Sitzmann dans son Dictionnaire des Hommes Célèbres de l’Alsace la divise en une trentaine de branches différentes. Bigre ! Il était naturel que les Hohenstein et les Müllenheim finissent par se rapprocher à l’occasion d’un mariage.
Jean Wirth a étudié le ‘Famillienbuch Mullenheim’, archives familiales, et en a tiré les éléments qui concernent leur occupation du château d’Hinterlützelburg, appelé aujourd’hui Rathsamhausen. Voici les éléments qui nous ont intéressés, les passionnés liront le détail dans l’article de J. Wirth.
- 1478 : déclaration de Hans Grempss, qui fut célérier de Daniel de Müllenheim.
- 1492 : on apprend que Daniel de Müllenheim et Egenolf de Rathsamhausen paient 4 livres, 4 schilings et 15 pfennigs d’impôts pour leur châteaux d’Ottrott.
- 1500-1507 : litige entre Daniel de Müllenheim et la Ville d’Obernai au sujet des forêts qui entourent le château.
- 1511 : investiture de Jean de Müllenheim pour l’Hinterlützelburg, par Louis, comte palatin.
- 1517-1519 : correspondance entre Jean de Müllenheim et la Ville d’Obernai au sujet des limites des propriétés, toujours en litige.
- 1521 : Jean de Müllenheim cède son château à ses frères : Christophe et Caspar de Müllenheim. Ceux-ci entreprennent la restauration des lieux. Christophe et Caspar résident à l’Hinterlützelburg.
C.L. Salch détaille les transformations effectuées à cette époque dans le Rathsamhausen. En voici les principales,
– les deux étages d’habitation du donjon-palais du XIIème siècle avaient plus de quatre mètres sous plafond. Les Müllenheim ajoutent deux étages intermédiaires. On distingue les corbeaux de moindre taille encore en place dans les murs. Plusieurs baies romanes sont rebouchées, côté est. De nouvelles ouvertures, en arc surbaissé, sont percées, coté sud, pour éclairer les nouveaux espaces.
– la toiture du donjon-palais est inversée. Les écoulements d’eau de pluie qui se faisaient dans une gouttière centrale, sont reportés sur les murs Nord et Sud avec déversoirs en façade.
– modification des caves
– le logis est également surélevé d’un étage. Les nouvelles ouvertures sont de style Renaissance.
On le voit, tous ces travaux induisent un gain important de la surface habitable. Les Müllenheim et leurs gens devaient être fort nombreux au Rathsamhausen !
Voici la restitution que propose C.L. Salch du château à cette époque
- 1533 : Jean et ses frères sont confirmés dans leur investiture par le comte palatin Louis.
- 1534 : Jean de Müllenheim, malade, se fait représenter lors de débats à propos du château par son cousin Asmus, auprès du comte Louis.
- 1553 ou 1557 : Mort de Christophe de Müllenheim, Caspar, son frère, vend alors le château et ses dépendances à Conrad-Dietrich de Rathsamhausen-Ehenwihr pour 400 florins.
Selon Max Herbig, les Rathsamhausen font une excellente affaire : ‘Im Jahre 1557 kaufte die Familie ihr schönes Stammschloss, die Hinterlützelburg, die wieder im alten Glanze prangte, von den Müllenheim zurück.’… ‘En l’an 1557, la famille rachète aux Müllenheim son château d’origine, l’Hinterlützelburg qui, à nouveau, resplendissait de son éclat passé’.
C.L. Salch, au contraire, parle d’un ‘manoir incommode et délaissé’, ‘ un château quasi-abandonné et faute d’entretien, menaçant ruine’ que rachèteraient les Rathsamhausen. Même si, allant dans le sens de monsieur Salch, les 400 florins de 1553 nous semblent peu de choses comparés aux 1200 florins de 1424, nous ne nous prononcerons pas.
- 1561 : Frédéric, comte palatin, entérine la vente et donne le fief à Conrad-Dietrich et Jean de Rathsamhausen.
Les Rathsamhausen sont alors possesseurs des deux châteaux d’Ottrott et le Hinterlützelburg devient, enfin, le Rathsamhausen.
A titre de comparaison, voici la restitution proposée par Thomas Biller du château à la fin de ce siècle. Quelques détails s’éloignent de la proposition de C.L. Salch, notamment au niveau des toitures.
La restitution de J. Naeher 1905
Nous vous avons présenté plus haut les restitutions du Rathsamhausen par deux spécialistes reconnus du lieu : C.L. Salch et T. Biller. Voici, pour conclure cet article, une toute autre image qui vise cependant le même but : décrire le château au temps de la splendeur des Müllenheim.
Julius Naeher a dessiné, à partir des plans de masse, toute une série de lithographies, où il représente ce que pouvaient être les châteaux du Saint Empire. Ingénieur de formation, Julius donne parfois une image un rien ‘romantique’ des lieux. En ce qui concerne le Rathsamhausen, Julius est bien reparti du plan des ruines. Le tracé des murailles, des braies et des barbacanes correspond à la réalité.
Quelques détails peuvent surprendre cependant :
- Les créneaux du donjon carré sont bien nombreux.
- La toiture du logis est mal orientée.
- La barbacane ne se prolonge pas vraiment ainsi aussi loin à l’ouest.
- La poivrière au dessus de la porte est inventée.
- Les chiens-assis, situés au dessus des créneaux, sont un rien hors d’époque.
- Les hourds du donjon circulaire ne devaient plus exister à la Renaissance.
- …
Mais détails que tout cela !
Les lithographies de Julius nous font toujours autant rêver, et les frères Christophe et Caspar de Müllenheim avaient un bien beau kachelofen avec leurs armoiries pour chauffer l’immense salle de réception du château de Rathsamhausen.
Illustrations
- Photographies, PiP et FrP
- Photographie de la cheminée du Rathsamhausen, Ernest
- Les deux Ottrott, médaillon de Matthis,1841
- Armoiries des Mullenheim, PiP selon documents Internet
- Restitution du Rathsamhausen, C.L. Salch, CAMS, 1974
- Restitution du Rathsamhausen, T. Biller, 1975
- Restitution du Rathsamhausen, J. Naeher, 1905
Sources
- M. Herbig, Ottrotter Schlösser, 1904
- Fr.E. Sitzmann, Dictionnaire des Hommes Célèbres de l’Alsace, 1909
- J. Wirth, Note sur les châteaux d’Ottrott, 1974
- C.L Salch, Le Château de Rathsamhausen-Ottrott,1974
- T. Biller, die Ottrotter Schloesser, 1975
Merci à Charles qui a découvert la matière de cet article !