Avant la fin du 14ème siècle, les archives ne nous disent que peu de choses sur l’histoire des châteaux qui protègent les couvents du Mont Sainte-Odile. Cependant, à partir de 1350, les textes se font plus nombreux et citent les différentes familles qui possèdent les lieux. Peu à peu, les Rathsamhausen, lignée originaire des environs de Sélestat, vont devenir une famille influente sur le Mont. Ils sont d’abord cités au Château de La Roche, puis leur nom apparaît aux Châteaux d’ Ottrott, au Waldsberg ( aujourd’hui nommé Hagelschloss ) et enfin aux Dreistein. Nous nous intéresserons ici à un conflit avec la famille d’ Andlau pour la possession du ‘Vorderlützelburg’, appelé aujourd’hui Lutzelbourg.
La famille de Rathsamhausen à la fin du 14ème siècle
Les membres de la famille sont nombreux. Sur les 69 textes que nous avons recensés à ce jour et citant ce nom de Rathsamhausen, nous avons trouvé une trentaine de prénoms différents. Les plus courants sont Dietrich, Gérothée, Johann et Lutelmann. Il n’est pas aisé de savoir si le même prénom désigne la même personne dans deux textes différents. Il peut s’agir d’homonymes : cousins, père et fils, oncle et neveu… Les textes étudiés peuvent être des lettres d’investiture concernant les châteaux ou les villages, des accords de partage entre les membres de la famille lors d’une succession, les traces d’un litige avec la Ville d’Obernai… L’étude, certes encore fort incomplète, permet néanmoins de se faire une idée de la famille, sans prétendre à la représenter précisément.
Voici sous forme de deux tableaux la synthèse de ce que nous croyons savoir. Le premier présente la famille dans son ensemble de 1350 à 1450. Le second détaille autant que nous avons pu le faire la branche de Rathsamhausen zum Stein, il cite les également les personnes que nous n’avons pas su rattacher à une branche ou à une autre. Les dates indiquées sous chaque prénom correspondent à l’année où le nom est cité. Nous indiquons également les noms des châteaux proches du Mont en rapport avec les personnes avec les dates de citation. Les différents villages où sont possessionnés les Rathsamhausen ne sont pas mentionnés.
Sur la première ligne sont cités les cinq Rathsamhausen qui se répartissent en 1367 les droits de la famille sur le château d’Ehnwihr près de Sélestat et les villages de Muttersholtz, d’Eschau et Wibolsheim, ainsi que d’autres droits. ( Chartrier de Niedernai, réf 100)
- Les frères Hartmann et Diebold, qui possédaient le Lutzelbourg dès 1367.
- Johann, qui fut investi du fief des chaudronniers en 1361. Les chaudronniers lui devaient 28 journées de travail chaque année, et ils devaient de plus le fournir en chaudrons et en poêles. Il est appelé Johan de Rathsamhausen de Triberg. Il possède une part du Waldsberg.
- Les frères Lutelmann et Dietrich, qui sont appelés Rathsamhausen zum Stein. Cette lignée détient le château de la Roche dans la vallée de la Bruche depuis 1180.
A la génération suivante, les fils de Johann dit de Triberg
seront investis de droits sur plusieurs châteaux du Mont : le Waldsberg
(Hagelschloss) dès 1390, le Hinterlützelburg (Rathsamhausen) dès 1390, le
Dreistein à partir de 1435.
Pour le Vorderlützelburg (Lutzelbourg), la transmission ne sera pas vraiment
simple, nous l’allons voir tout à l’heure….
Les Rathsamhausen zum Stein sont, en autres, les seigneurs de la Roche. Ils détiendront le château jusqu’à sa destruction pour brigandage en 1469. Leur fief est en limite des forêts de la Ville d’Obernai, ils possèdent des cours à Ottrott et une maison à Obernai ( maison romane, rue de la Dîme) : les démêlés entre la Ville et les zum Stein sont nombreux. Les archives de la Ville en témoignent.
Entre 1350 et 1450, les Rathsamhausen sont donc présents dans cinq des châteaux du Mont. Cette famille donne également trois abbesses à l’abbaye de Niedermunster : Suzanne 1411, Anna 1424 et Ursule 1446.
Litige au Vorderlützelburg
Le conflit entre des Andlau et les Rathsamhausen pour la possession du Lutzelbourg se situe au changement de siècle vers 1400.
La succession de Hartmann et Diebold de Rathsamhausen
- Une charte du fond Landsberg nous dit que les frères Hartmann et Diebold de Rathsamhausen sont propriétaires du Lutzelbourg en 1367. (ABR J Landsberg).
- En 1387, une autre charte nous apprend que Hartmann est décédé et qu’il laisse un fils prénommé Hanemann (Chartrier de Niedernai, réf 136).
- Selon l’étude de Monique Fave (p.36) Hartmann était marié à Elisabeth d’Andlau.
- Une troisième charte nous dit que Diebold est décédé avant 1392 et que ses biens resteront en indivision entre Lutelmann et les fils de Jean de Triberg, ses cousins. (Chartrier de Niedernai, réf 142). Hanemann n’est pas cité, il doit être décédé. Le Lutzelbourg serait alors bien commun de Lutelmann, Hartmann, Egenolf et Hans de Rathsamhausen. C’est du moins ce que pensent les Rathsamhausen.
1392 : la lettre l’empereur Wenzel au prévôt
La même année, cependant, l’empereur Wenzel prend la peine d’écrire à Endolff abbé de Morbach, prévôt d’Alsace. Il lui dit avoir donné le Lutzelbourg en fief à Rudolf et Heinrich d’ Andlau ! (Nous n’avons pas retrouvé la trace de cette investiture.) De plus, l’empereur dit savoir les prétentions d’ Egenolf et Hans de Rathsamhausen. Wenzel commande donc au prévôt d’étudier la question, il termine en demandant au prévôt de protéger les Andlau. (AMS AA 114/7)
Il ressort de ce document qu’à la mort de Diebold, l’empereur n’a pas su ou pas reconnu l’accord entre les Rathsamhausen et qu’il a considéré le Lutzelbourg comme revenant à l’Empire. Il aurait alors décidé de le donner aux deux Andlau. Hartmann n’était-il pas marié à Elisabeth d’Andlau, leur soeur (Fave, p36) ? Sans doute prévenu par une requête des Andlau, surpris par les prétentions des Rathsamhausen, l’empereur demande à son prévôt de clarifier la situation.
1393 L’investiture des Rathsamhausen par Wenzel
L’année suivante, sans doute, Wenzel a-t-il reçu la réponse de son prévôt en Alsace. Il rédige alors une lettre d’investiture concernant le Lutzelbourg. L’empereur a tranché en faveur des Rathsamhausen. La lettre de Wenzel donne le château aux frères Rathsamhausen : Hartmann, Egenolf et Johann. Il leur reconnaît également une part d’ Ottrott-le-bas et un cinquième du village de Mundolsheim. (ABR 76 J 223 et RIplus Regg Wenzel N°2275).
En fait, Hartmann est l’enfant du premier mariage de Johann de Triberg avec Margarethe de Müllenheim ( Fave, p36, à confirmer). Ses deux demi-frères sont les enfants de la deuxième épouse de Johann : Lucia de Hohenstein.
Note : le troisième fils de Johann est appelé Johann dans certains textes, Hans dans d’autres. L’utilisation du diminutif évite de le confondre avec son père.
1401 L’investiture des Andlau par Ruprecht
Huit années plus tard, on aurait pu croire la querelle terminée. Pourtant, vraisemblablement à la demande des Andlau, le nouvel empereur Ruprecht fait rédiger une nouvelle lettre d’investiture aux deux frères d’Andlau. Rudolf et Heinrich se voient confirmer, comme il s’entend, le château du Haut-Andlau, Andlau, son ban ainsi que Mittelbergheim., mais aussi, en fin de liste le ‘Linzelburg by Ottenrode’, le Lutzelbourg à Ottrott. (Regestra Imperi, Ruprecht, 1193).
Voici la traduction de la partie du texte qui nous concerne :
« ( nous donnons en fief) à lui ,Schwarz-Rudolf et à son frère, en commun, le Linzelburg à Ottrott et les biens qui en dépendent, vin, blé, taxes, prés,comme on peut les définir comme ayant appartenu à Hartmann de Rathsamhausen et à son fils le bienheureux Hanneman, et à Diebold, frère du précédant, à Ottrott, biens qu’ils tenaient de l’empire ».
Les Andlau étaient habiles et la chancellerie de Ruprecht ne semble pas avoir vérifié les décisions antérieures de Wenzel.
1414 La nouvelle investiture des Rathsamhausen par Sigmund
Les Rathsamhausen ne désarment pas. Quelque treize années plus tard, retournement de situation, ils obtiennent de l’empereur Sigmund une lettre d’investiture en leur faveur. Le Vorderlützelburg est reconnu aux frères Egenolf et Hans de Rathsamhausen. (ABR Q 5680)
Il semble que leur demi-frère Hartmann ait été décédé à cette date.
Selon Schoepflin (Alsatia Illustrata, T4, para 477), repris par Grandidier, (OI, T6,p.46), une paix castrale aurait été signée en 1417 par les Rathsamhausen et Engelhard de Nyperg. Nous ne l’avons pas retrouvée. C’est fort dommage, ce texte nous eût apporté des détails intéressants.
Cet accord a été reconduit en 1466 et 1470 par les Rathsamhausen avec Jacques de Hohenstein, alors propriétaire de l’Hinterlützelburg (Rathsamhausen). (ABR 76 J N°37 et N°38)
La querelle entre les Andlau et les Rathsamhausen ne semble pas s’être poursuivie. Les lettres d’investitures suivantes de 1435, 1442, 1538 et 1550 confirment le château aux Rathsamhausen.
- 1435 : Sigmund – ABR 76 J 3
- 1442 : Frederic III – ABR G 779
- 1538 : Charles Quint – AMO DD 11
- 1550 : Charles Quint – Gyss, HVO, T1, 403)
Le Lutzelbourg lors du conflit Rathsamhausen-Andlau
Pendant plus de vingt ans, les deux familles se sont donc querellées pour obtenir ou confirmer leurs droits sur le Vorderlützelburg à Ottrott. Et les Rathsamhausen sortent vainqueurs du conflit.
Mais qu’était-ce que le Lutzelbourg à cette époque ? Seule la lettre de Wenzel au prévôt d’Alsace nous donne une indication: ‘ Wir haben vormals Rudoffen und Heinrichen von Andelow uns und des Reichs lieben getrewen das Burgstal die vorderluzelburg mit iren zugehorungen gnediclichen gelihen…’. Le Lutzelbourg est alors qualifié de ‘Burgstal’ : il s’agit d’un château abandonné, un château en ruines ! Les deux familles se sont donc affrontées deux décennies pour une ruine et ses dépendances. Bigre !
Pourquoi le château de Lutzelbourg était-il ruiné en 1392 ? L’histoire de sa destruction par les Grandes Compagnies du roi de France a souvent été citée, dite par tradition orale, reprise par des historiens plus ou moins anciens (Herbig 1903, Rapp 1968). Pourtant, aucun document ne vient corroborer ces dires. Certes, les supplétifs des armées du roi de France ont bien envahi l’Alsace à deux reprises, menées en 1365 par Arnault de Cervole, dit l’Archiprêtre, puis quelques années plus tard, en 1372 par Enguerrand de Coucy. Mais aucun écrit ne permet d’affirmer que l’un ou l’autre n’ait voué le Lutzelbourg aux flammes. Les ‘Engländer’ si bien décrits par Specklin ( Les Collectanées, notules 1621-28 ) sont probablement restés dans la plaine et se sont attaqués à des villages, à des couvents, cibles faciles, plutôt qu’à des châteaux de montagne. C’est ce que disent les chroniques de l’époque.
Lisons, relisons Koenigshoven qui écrit quelques années après les faits.
« On les aurait pris pour les bandits ou des meurtriers, et c’est ce qu’ils étaient ! Ils assassinaient tous les gens qui étaient pris et qui n’avaient rien à leur donner. Parfois, ils laissaient partir des gens, puis ensuite, ils les rattrapaient et les étranglaient. Leurs vêtements étaient longs et précieux. Leurs chapeaux ronds portaient comme un bouton et ils avaient de grandes capuches à pointe qui étaient bien larges. Leur vaisselle et leurs gobelets étaient en argent. Mais les pauvres, eux, ils allaient pieds nus et mal vêtus . Et quand ils attrapaient de jeunes garçons, ils les gardaient auprès d’eux pour les servir. »
Koenigshoven, Chroniques, ~1390
Quoiqu’il en soit, nous décelons, encore aujourd’hui, les traces d’un incendie sur le mur sud du Lutzelbourg. Datent-elles de cette époque ? Nos chroniqueurs anciens auraient-ils lu des textes qui se seraient perdus ?
La reconstruction du Lutzelbourg au début du quinzième siècle
Enfin vainqueurs, enfin reconnus, certains de leur droit de propriété, les frères Rathsamhausen se sont lancés dans une vaste campagne de restauration du château.
- Le nouveau logis Nord date de cette période. Sur cette belle demeure seigneuriale, Egenolf et Hans ont fait sculpter leurs armoiries à l’angle de la frise de faux-machicouis.
- A l’intérieur de ce logis, plusieurs corbeaux portent leurs armes et celles de leur mère Lucia de Hohenstein.
- Les deux frères ont également adapté leur château aux armes nouvelles. Les courtines de l’Interrègne ont été doublées par des fausses-braies et par des lices, dotées de canonnières.
- L’entrée du château s’est vue dotée d’une nouvelle porte, appuyée sur un beau contrefort et précédée d’un petit pont-levis.
La décision de 1414 de l’empereur Sigmund a redonné vie et splendeur au château de Lutzelbourg !
Illustrations
- Photographies du Lutzelbourg par drone, Tomasini
- Lithographie du Hagelschloss, Simon
- Généalogie Rathsamhausen, PiP
- Sceau des Rathsamhausen, Archives Municipales Obernai, photo PiP
- Dreistein, restitution romantique de J.Schmitt
- La Roche, copie d’une peinture disparue de
l’église de Fouday
AMS, Fonds Oberlin, MS197/II - La lettre de Wenzel au prévôt d’Alsace, 1393, AMS-AA-114/7, photo MaL
- Haut-Andlau, dessin de Imlin, 1816
- Schéma de localisation des châteaux, PiP
Sources
- J. Gyss, Histoire de la Ville d’Obernai, 1866
- M. Chave-Schwartz, les Rathsamhausen…, Revue d’Alsace, 1983
- B. Metz, die Burgen des Elsass, T3, 1995
- J.M.Rudrauf, Les Châteaux Forts autour du Mont Sainte-Odile, 2019
- Archives du Bas-Rhin, Archives de Strasbourg,
Archives d’Obernai, Chartrier de Niedernai
Les références sont précisées dans le texte de l’article.