La façade ouest du donjon-palais du château de Rathsamhausen présente une trouée étonnante. Côté extérieur, l’orifice est de petites dimensions : une douzaine de pierres du parement, tout au plus, ne sont plus en place. A l’intérieur du château, les dégâts sont plus importants. Nul doute, un projectile doté d’une grande vitesse est venu frapper le donjon : il s’agit de l’impact d’un boulet de canon ! Bigre ! Qui donc est venu canonner notre Rathsamhausen ?
Un seul impact ?
Plusieurs questions viennent à l’esprit curieux de l’observateur. Lors de quel épisode de l’histoire troublée de l’Alsace vint-on attaquer au canon le Rathsamhausen ? Pourquoi ne décèle-t-on qu’un seul impact de tir ? et pourquoi les dégâts occasionnés par ce tir n’ont-il pas été réparés ?
Autant de questions auxquelles nous allons tenter de répondre. Commençons par la plus simple… le nombre de tirs. Et pour ce faire, compulsons nos archives. Voici le dessin que fit Louis Laurent-Atthalin de l’intérieur du donjon en 1836. Magnifique vue, éclairée par un soleil déclinant. Louis détaille le décor des salles d’apparat du donjon-palais, avec ses portes et cheminées ouvragées. Nous traiterons de ce sujet dans un prochain article.
Si vous concentrez votre attention sur le second étage du palais, vous verrez qu’en 1836, Louis reproduit les orifices causés par deux tirs ! Voici fortement agrandie la partie concernée.
Les dégâts de ce deuxième impact étaient donc bien présents en 1836. Ils étaient suffisamment importants pour menacer l’ensemble du mur et les restaurateurs ont comblé la brèche, vraisemblablement lors des travaux de 1857 ou 1898. Cette reprise est encore aujourd’hui bien visible au niveau des jonctions avec la paroi d’origine.
Qui a attaqué le Rathsamhausen au canon et quand ?
Si les textes historiques relatant l’histoire des châteaux sont bien rares, nous avons cependant quelques données forts précises. Le livre de famille des Müllenheim rapporte les importants travaux entrepris au Rathsamhausen, alors appelé ‘Hinterlützelburg’ par cette famille qui habita les lieux de 1477 à 1553. A cette date, le château est vendu à Conrad Dietrich de Rathsamhausen-Ehenwihr pour 400 florins. Le château semble alors en bon état.
La Guerre de Trente Ans opposa l’empereur catholique aux princes protestants dans tout l’empire. Ce fut l’occasion pour les puissances étrangères de s’impliquer dans le conflit, tout d’abord les Suédois puis les Français, qui mettront, à cette occasion, le premier pied en Alsace.
Les deux épisodes les plus importants pour le Mont-Sainte-Odile furent :
- Le passage des troupes de Mansfeld en 1622
Ernest de Mansfeld assiège la Ville d’Obernai avec son artillerie, ouvre des brèches dans ses murs et prend la Ville. Nous avons traité de cet épisode dans notre article : Ernest de Mansfeld assiège Obernai. Ernest prit également Rosheim, mais nous avons peu de textes explicitant sa venue sur le Mont. Ceux qui nous sont parvenus ont été écrits près d’un siècle plus tard .
Hugo Peltre, chanoine du Mont, déclare dans sa Vie de Sainte Odile (1719) :‘ car la fureur des hérétiques se déchargea surtout contre la montagne de Sainte Odile, où ils mirent le feu à tous les édifices et les réduisirent en cendre’. Hugo décrit Ernest de Mansfeld comme un ‘hérétique, violent et obstiné’. Diantre !
Et voici les quelques lignes de Dionysus Albrecht , publiées en 1751, liées aux évènements de 1622. ‘Mansfeld, ennemi des ecclésiastiques et des établissements catholiques, a occupé l’Alsace avec son armée ennemie. C’est elle qui mit le feu à la maison de Dieu, nouvellement reconstruite, et a violé la tombe de Sainte Eugénie.’
Rien sur nos châteaux !
- L’occupation par les Suédois en 1632
Là encore, si le livre de Joseph Gyss détaille la longue occupation de la Ville d’Obernai, nous trouvons peu de choses sur ce qu’il se passa aux alentours. Voir notre article : ‘Les Impériaux s’emparent d’Obernai’. Selon Dionysus, les Suédois sont également montés sur le Mont. Ils n’ y ont trouvé que quelques Prémontrés qui veillaient sur le caveau de Sainte Odile, entouré des ruines des bâtiments laissées par Mansfeld. Les Suédois auraient détruit la chapelle Sainte Odile, et également, au dessus d’Ottrott, la petite église et les habitations de Saint Gorgon. ‘ in einen Steinhauffen verkehret ’. Réduits en un tas de pierres !
La Guerre de Trente Ans correspond à la première utilisation structurée de l’artillerie en Alsace. On a vu plus haut comment la Ville d’Obernai dut, à deux reprises, capituler devant ces armes nouvelles, si efficaces contre les remparts. On peut alors suivre le raisonnement de Thomas Biller qui propose ces dates pour la canonnade que subit le château de Rathsamhausen. Les troupes d’Ernest de Mansfeld et les Suédois sont montés au couvent de Hohenburg, ils ont pu venir menacer les châteaux d’Ottrott pour demander rançon. Voici le type de canon utilisé à cette époque.
Ernest aurait alors disposé ses canons sur l’esplanade qui sépare nos deux forteresses, à quelques dizaines de mètres des murs. C’est dire le peu de résistance qu’il avait du rencontrer de la part des Rathsamhausen… Le système de barbacanes avec ses canonnières fut bien inutile, bien impuissant, devant l’armée protestante. Ernest aurait fait alors tirer deux coups de canon…. Et c’est tout ! C’est étonnant ! Pourtant, au vu des dégâts occasionnés par ces deux tirs, on peut imaginer la réaction des rares défenseurs des lieux. La reddition dut se faire rapidement, pour éviter la chute prévisible et inutile des murs des châteaux en cas de résistance.
Tout ceci n’est que conjoncture, certes, mais correspond bien à ce que nous constatons encore aujourd’hui sur le site.
La reconstruction après l’attaque
Le plus surprenant dans cette histoire est le fait que les deux impacts n’aient pas été réparés après le retrait des assaillants. Que constatons nous ? Deux brèches dans les murs du donjon. Nul doute que les planchers aient également souffert de la canonnade. Les piliers qui portaient les plafonds de la pièce ont-il tenu ? Leur chute n’a-t-elle pas entraîné la toiture, ou une part de celle-ci ? Le donjon était vraisemblablement inhabitable !
Le logis est adossé au donjon-palais. Situé dans la ligne de tir, il a pu subir des boulets dont nous n’avons plus la trace. Dans le logis, on dénote des travaux postérieurs à cette époque Le plus marquant est l’inversion de la toiture. Le faîtage était orienté nord-sud. Dans la dernière phase d’occupation des lieux, il semble être axé est-ouest ainsi que le montre bien le relevé réalisé par J. P. Frey en 1974. On observe le raccord d’un toit à deux pans, situé plus bas que précédemment et perpendiculaire à la toiture initiale. La trace de ce raccord est située juste en dessous des deux impacts de tir.
Il est vraisemblable que le logis ait été lui aussi fortement touché par l’attaque. On a alors réorienté les toits pour ne pas avoir à intervenir sur le mur du donjon-palais que l’on a laissé en l’état. Comme le remarque Thomas Biller, cette dernière phase de réhabilitation du logis semble être faite à l’économie. Les Rathsamhausen n’ont pas pu ou pas voulu investir trop d’argent pour leur château. Le donjon-palais n’a pas été réparé, il ne devait plus être habité, dès cette période. Seul le logis a été reconstruit, mais plus bas que son prédécesseur. Orienté différemment, à moindre coût.
Cent ans plus tard, en 1732, Wolf-Christoph de Rathsamhausen édifie la demeure qui est aujourd’hui la Maison Forestière de Rathsamhausen à quelques dizaines de mètres. Sans doute, ce dernier logis du château était-il devenu trop inconfortable pour l’époque. Le site des châteaux est alors occupé par une grande ferme, où Wolf-Christoph élevait des chevaux.
Illustrations
- Photographies, PiP
- Dessin au crayon de Louis Laurent-Atthalin, 1836
- Portraits d’Ernest de Manfeld, images internet
- Canon de la Guerre de Trente Ans, image internet
- Relevé de J.P. Frey, façade est du Rathsamhausen, CAMS, 1974
- Canonnade, eau forte tirée de Die Neuen Perspektiva, W.H. Rhin, 1547
Sources
- Hugo Peltre, La Vie de Sainte Odile, 1719
- Dionysus Albrecht, History von Hohenburg, 1751
- Joseph Gyss, Histoire de la Ville d’Obernai, Tome II, 1866
- Jean Wirth, Note sur les Châteaux d’Ottrott, 1974
- Thomas Biller, die Ottrotter Schloesser Band 2, 1975