Dans la vaste cour du Rathsamhausen, au moyen âge, se déroulaient toutes les activités de la vie quotidienne du château. De nombreuses bâtisses étaient adossées à la muraille surmontée de hourds. On y trouvait le logement des serviteurs des seigneurs de Rathsamhausen, un four à pain, les écuries des chevaux des seigneurs, la margelle de la citerne, où on venait puiser l’eau. Il y avait aussi une forge qui devait résonner tout le jour du son des marteaux sur l’enclume. Nous vous présentons aujourd’hui la forge des Châteaux d’Ottrott.
Voici deux images tirées du Codex Manesse. Elles montrent deux chevaliers s’adonnant au travail de la forge : c’est pour eux un simple loisir.
Le travail du fer au Moyen Âge
De fait, le travail du fer est beaucoup plus difficile. Le minerai de fer est extrait de nombreuses petites mines peu profondes, accessibles. Les filons sont plus ou moins riches. De 100 kilogrammes de minerai, on peut tirer de 20 à 55 kilos de métal. L’extraction se fait le plus souvent sur place, dans la forêt. Les bas fourneaux exigent une énorme quantité de bois, coupé aux alentours. Ils génèrent de gros volumes de scories. Lorsqu’un filon s’épuise ou que le bois manque, l’équipe cherche un nouvel endroit. Si au début XIIème siècle, les opérations d’extraction et l’élaboration des outils de fers sont regroupées en un même site, bientôt les ateliers se spécialisent. Les bas fourneaux fournissent alors les loupes de métal qui sont acheminées vers les forges situées dans les villes ou les châteaux. C’est dans ces ateliers que les armes et outils seront façonnés.
Ces deux images sont tirées du De Re Metallica, publié par Jorg Bauer, elles montrent des ateliers ou extraction et façonnage d’outils sont réunis sur un même site.
Les forges dans les châteaux du Moyen Âge
Du temps des châteaux forts, les besoins en ferronnerie des châtelains sont importants et variés. Pour la défense du château, il faut avoir des armes : épées, lances, pointes de flèches, carreaux d’arbalète, cottes de maille, casques et armures. La construction et l’entretien du château nécessite des gonds, des ferrures de portes ou de coffres, des serrures, des clous,… des milliers de clous. L’entretien des chevaux suppose de pouvoir forger des fers et de les poser. L’harnachement des montures consiste en mors, étriers, toute sorte de pièces de métal. La forge est alors nécessaire au château.
Il en était de même dans les abbayes de l’époque. Voici deux images de forgerons d’une abbaye de Nuremberg: le livre tenu par les moines a gardé une image de chaque forgeron et noté son nom.
Cependant, dans son étude des forges castrales en Alsace, C.-L. Salch ne retrouve, dans les fouilles ou dans les textes, qu’une dizaine de forges attestées sur les 450 châteaux étudiés. Sans doute, la forge n’était-elle souvent qu’un petit atelier situé dans les cours, destinée aux réparations et à l’entretien. Ces ateliers n’ont alors pas laissé de traces. Les premiers châteaux devaient disposer d’une forge autonome, puis, au fil du temps, les travaux se sont spécialisés et ont été confiés à des ateliers extérieurs. Forger une épée, fabriquer une armure sont devenus des spécialités complexes que le forgeron du château ne pouvait maîtriser. Les travaux se sont alors déplacés vers les villes. Il était plus simple d’acheter une caisse de carreaux d’arbalète que de les forger sur place.
Tirées du Ständebuch de Jost Amman, voici deux ateliers ‘spécialisés’ dans la fabrication d’objets spécifiques : à gauche, des fers à cheval ; à droite, des lames de faux.
Les forges castrales sont peu à peu devenues de simples ateliers de réparation, ou ont disparu. Mais pas partout…
La forge des châteaux d’Ottrott
Lors de leurs campagnes de fouilles, D. Fèvre et C.-L. Salch ont découvert, puis réhabilité une forge qu’ils datent du début du 15ème siècle. La forge se situe dans le château de Rathsamhausen et est adossée à l’enceinte Est de la forteresse. On ne peut que se montrer surpris par la grande taille de cette forge et de ses dépendances, et aussi s’émerveiller par les trouvailles faites lors de ces fouilles.
Voici le dessin de quelques clefs trouvées dans les châteaux d’Ottrott. Peut-être ont-elles été forgées sur place.
Topologie de la forge des châteaux d’Ottrott
Lors de leurs campagnes de fouilles D. Fèvre et C.-L. Salch ont dégagé une vaste forge, avec une sole de 2.30 mètres sur 1,90 , un évier attenant avec son déversoir dans les fossés du château, le bâtiment de la forge avec son pavage d’époque et deux annexes de la forge. En voici le plan de masse.
La sole de briques jaunes et rouges, posées sur chant, cernées de pierres de grès, ne possède pas de cendrier. Elle semble plus basse que ce nous pouvions attendre. Sa surface montre l’importance que la forge devait avoir aux châteaux Ottrott.
L’évier, malheureusement brisé, servait à évacuer les eaux de trempe du métal forgé.
L’appentis, situé en annexe nord, protège un four dont nous allons expliciter l’utilisation plus avant.
L’outillage de la forge n’a pas été retrouvé. Ni enclume, ni marteaux, ni pinces, le tout fut vraisemblablement évacué et réutilisé lorsque les Rathsamhausen ont quitté le château.
Les moules retrouvés lors des fouilles
Lors des fouilles des abords de la forge, plusieurs pierres gravées ont attiré l’attention des chercheurs. Il s’agit de moules destinés à la fabrication de menus objets. Les analyses effectuées par madame Fèvre nous permettent d’en savoir plus. Les forgerons d’Ottrott étaient également des fondeurs de laiton. Bigre !
Voici le tracé de trois des moules retrouvés à Ottrott.
Les pierres gravées sont de la stéatite. Vous pouvez distinguer les orifices par lesquels les fondeurs coulaient le métal en fusion dans les moules. On en tirait de petits objets de laiton estampés. Les fouilles ont permis de découvrir également un outil muni de trois coupelles qui permettait de doser l’alliage de laiton. Travailler le laiton n’est pas si facile. Le laiton s’obtient par un mélange de zinc et de cuivre. Le zinc ne supporte pas les hautes températures. Au moyen âge, on travaille directement le minerai, on incorpore le cuivre avant fusion, c’est plutôt délicat. Nos fondeurs des Ottrott étaient de véritables artistes !
Tous ces travaux minutieux étaient effectués à l’aide du four attenant à la forge. Nous l’avons cité plus haut.
Les objets de laiton coulés aux Châteaux d’Ottrott
Lorsque les chercheurs ont sondé les braies du Rathsamhausen , ils ont mis à jour de nombreux objets en laiton. En voici quelques exemples.
Une applique de vêtement, un fermoir de livre, une médaille religieuse, une initiale qui ornait un livre ancien.
En voici d’autres.
Des clous de ceintures, un couteau dont le manche est incrusté de figurines en laiton, une petite serrure.
Et pour finir, une médaille représentant un chevalier terrassant un dragon et des branlants, des attaches et boutons.
Nous ne saurions dire exactement lesquels de ces objets ont été fabriqués sur place, à Ottrott, lesquels ont été achetés par les seigneurs du lieu. Mais le dessin des moules retrouvés et la multiplication de certains objets semblent prouver que plusieurs d’entre eux aient bien été fondus sur place. Clous de ceintures, branlants, et surtout cette image du chevalier et du dragon, retrouvée à plusieurs exemplaires et qui pouvait orner un vêtement ou une bourse de chevalier.
Voyez comment étaient harnachés les chevaliers, selon le Codex Manesse, ! Tous ces colifichets étaient rivés sur les lanières de cuir des chevaux ou bien sur les riches vêtements des seigneurs. Ils ornaient montures et cavaliers lors des tournois. Ils sortaient d’ateliers de fonte semblables à celui-ci d’Ottrott.
Les Hohenstein, forgerons et fondeurs des Châteaux d’Ottrott
Selon Salch, la forge du Rathsamhausen date du début du 15ème siècle. Certes, elle peut être la continuation d’une forge plus ancienne, plus classique. Mais qui étaient les seigneurs du Rathsamhausen à cette époque ?
En 1424, Tutelman de Rathsamhausen vend le château à Henri de Hohenstein pour la somme de 1200 florins, avec le consentement de l’électeur palatin Louis. Fichtre ! Rathsamhausen et Hohenstein, les familles sont alors alliées. Ne voit-on pas leurs blasons réunis à deux reprises sur un même corbeau dans le logis du Lutzelbourg, le château voisin. ?
Henri de Hohenstein est cité de 1401 à 1444. Son fils Jacques de 1432 à 1481. C’est un garçon étonnant ! Omniprésent, nous l’avons déjà rencontré dans plusieurs de nos articles :
1460 – Des bourgeois d’Obernai jetés dans les geôles du Rathsamhausen, château d’Ottrott !
1474 – Jacques de Hohenstein et le Rosenmeer
1475 – Jacques de Hohenstein et le complot du Guirbaden.
1477 – Jacques de Hohenstein signe une paix castrale aux châteaux d’Ottrott.
Jacques de Hohenstein, prévôt du tribunal d’Obernai, a pris parti contre la Ville d’ Obernai, dans le conflit du Kagenfels. Seigneur du Guirbaden, Jacques a négocié le partage des eaux de la Magel entre Mollkirch et Molsheim. Jacques a envisagé de céder ses châteaux de Guirbaden et de Kagenfels à Charles le Téméraire et aux Bourguignons contre une forte somme. Déjoué par l’évêque, Jacques a séjourné en prison à Dachstein. Jacques a recouvré ses droits et négocié une paix castrale à Ottrott. Et c’est encore Jacques de Hohenstein, homme politique habile qui a vraisemblablement créé la fonderie de laiton des châteaux d’Ottrott.
Jacques était un chevalier, un politique, un batailleur…. Mais c’est aussi un des premiers entrepreneurs de l’époque. Le seigneur des châteaux d’Ottrott doit asseoir sa puissance sur des revenus. Les châteaux ne sont plus simplement une puissance militaire, mais aussi un lieu de production de colifichets en laiton, qui assurent la prospérité du seigneur du lieu ! La production de la fonderie d’Ottrott ne peut être écoulée sur place, les boutons, médaillons et breloques est vendue dans toute l’Alsace. Jacques de Hohenstein a plusieurs cordes à son arc. Il a créé une petite manufacture dans son château au dessus d’Ottrott.
Jacques de Hohenstein
Passementerie et breloques
Le projet des Amis des Châteaux d’Ottrott
Aujourd’hui, la forge de Jacques de Hohenstein est en triste état, abandonnée depuis dix-sept ans aux intempéries. La petite maison de bois construite par l’équipe de C.-L. Salch pour protéger ce patrimoine est en mauvais état. Pluies et vents agressent la forge du Rathsamhausen.
En 2017, ‘Les Amis des Châteaux d’Ottrott’ ont rétabli l’accès au Rathsamhausen, rappelez vous l’article : Notre grand projet 2017
En 2018, ‘Les Amis des Châteaux d’Ottrott’ rénoveront la maisonnette et de protéger la forge et ses ateliers. Nous reprendrons charpente et toitures, nous nettoierons les lieux. Nous redonnerons à la forge son aspect d’antan !
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Sources
J.-F. Fino, Armes et armées du Moyen Age, 1964
J.-P. Rieb et C.-L. Salch, Aspects de la vie au Moyen Age et à la Renaissance, 1973
C.-L. Salch, Les Forges dans les Châteaux Forts, questions, 2001
- Fevre, La forge au château de Rathsamhausen-Ottrott, 2001
- Fevre, Les outils du forgeron, petit vocabulaire médiéval, 2001
Illustrations
Forgerons, Codex Manesse Liederhandschrift, ~1310
Forgerons, Das Ständebuch, Jost Amman, 1568
Forges, De re metallica, Georgius Agricola, 1556
Forgerons, Die Hausbücher des Nürnberger Zwölfbrüderstiftungen, 1418
Chevaliers, Codex Manesse Liederhandschrift, ~1310
Photographies, PiP
Schéma des bâtiments de la forge des Châteaux d’Ottrott, PiP
Lithographie, Imlin, 1821
Les dessins des moules et objets retrouvés aux Châteaux d’Ottrott sont extraits de l’article de madame Danielle Fèvre et du livre de messieurs Rieb et Salch. Ces articles sont très détaillés, le lecteur intéressé s’y reportera avec bonheur. (parutions du Centre d’Archéologie Médiévale de Strasbourg)
Bonjour,
Félicitation pour ce beau recueil de travail de recherche sur ce magnifique château. je vous avoue que j’en suis tombé « amoureux » des le premier regard… la recherche sur le travail des forgerons au Rathsamhausen, m’a simplement ‘cloué’ sur place. Je suis le forgeron au sein de la « Confrérie du Molkenbourg », et je serais ravis de pouvoir forger dans la forge du château, un jour quand elle sera rénovée. Peut-être le jour d’une porte ouverte, où d’une fête…
Je vous félicite pour ce beau travail.
En attendent, recevez mes Templières salutations
Jérôme PAULUS