Le Blason mystérieux du Lutzelbourg (suite)

Voici quelques semaines, nous publiions un article concernant le mystérieux blason du Lutzelbourg.
Ce blason se trouve par deux fois dans le logis nord du Lutzelbourg. Il fait partie des neuf écus sculptés sur les cinq corbeaux armoriés de la salle d’apparat du logis.

Blason des Rathsamhausen : cinq occurrences. (1,2,2,3,5)
Blason des Hohenstein : deux occurrences. (1,2)
Blason non identifié : deux occurrences. (1,4)

Les armes des Hohenstein et des Rathsamhausen s’expliquent aisément : Lucia de Hohenstein était la mère des trois frères Hartmann, Egelolf et Johann de Rathsamhausen, seigneurs des lieux de 1393 à 1414.
C’est sous leur autorité que fut édifié le logis nord du château où se trouvent les corbeaux armoriés.

Résumé des épisodes précédents

Nous ne connaissons malheureusement pas les couleurs des armoiries représentées, mais juste cette forme en pal sur fond uni. Dans l’article sus cité, nous avions évoqué quelques familles alsaciennes, palatines ou badoises dont les armoiries correspondent à cette forme.

  • famille de Leyen
  • famille de Kettenheim
  • famille Hase de Dienlich
  • famille d’Epfich

Nous avions écarté les Leyen pour des raisons de dates, les Kettenheim et les Hase pour des raisons de distance et leur manque de lien avec les alentours d’Obernai. L’hypothèse de la famille d’Epfich semblait la plus séduisante.

Monsieur Rudrauf, historien reconnu et membre des Amis des Châteaux d’Ottrott, nous a mis sur une autre piste : la famille des Stange d’Ehenheim.

Nous tentons aujourd’hui de mieux connaître les Epfich et les Stange afin d’identifier notre mystérieux blason du Lutzelbourg.

Famille Stange d’Obernai

Selon Joseph Gyss, historien de la Ville d’Obernai, les Stange apparaissent dès le 13ème siècle parmi les familles nobles de la ville. Ils sont cités dans plusieurs chartres qui concernent les abbayes de Hohenburg et de Niedermunster.

C’est ainsi qu’un Fridericus Stangerus assista comme témoin à la transaction conclue en 1232 entre l’abbaye de Hohenburg et la Ville de Rosheim. Le même Fridericus Stangen, chevalier, signa aussi la transaction conclue en 1237 par l’abbaye de Niedermunster avec le chevalier Louis de Rodesheim. Enfin Waltherus et Fridericus Stangen, fils, figurent comme arbitres dans une autre transaction conclue en 1262 entre l’abbaye de Hohenburg et la ville de Rosheim.

Gyss, Histoire de la Ville d’Obernai

Le nom des Stange pourrait provenir d’un lieu-dit du même nom, situé à l’ouest d’Obernai, à l’écart du faubourg de la Merzgasse, au delà du pont sur le canal des moulins. A cet endroit se dressait une petite chapelle dédiée à la Vierge : on la surnommait la ‘Stangenkapelle’. ‘zur Stangen vor Mertzgasse der obern Brücke gelegen’.

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Au quatorzième siècle, les Stangen faisaient toujours partie des familles nobles de la Ville. Un certain Cunon, conseiller de la Ville, en fut même expulsé en 1339.

Une chartre datée de 1340 confirme une paix castrale entre Heinrich d’Andlau et Rudolf le Jeune ( thèse de Nicolas Mengus). Cette chartre est cosignée par Cuntz Stange von Ehenheim. (On trouve le prénom Conrad chez Kindler von Knobloch, ainsi que dans le registre des fondations obituaires d’Obernai).

Selon le dessin de Kindler, les armoiries des Stange d’Obernai étaient un pal vertical, similaire à celui de notre blason mystérieux. ‘Eine Stange’ signifie une barre, il s’agit donc d’armes parlantes. Kindler n’indique malheureusement pas les couleurs du blason.

Note : On trouve également des Stange à Rosheim, Marmoutier, Strasbourg et à Haguenau. Il s’agit peut-être de la même famille, mais selon Kindler, les armoiries seraient différentes.

Famille d’Epfich

Epfig est un gros bourg situé à quelques kilomètres au sud d’Obernai. Une famille de ministériels a porté ce nom au moyen âge.

Nous avions cité quelques membres de cette famille dans notre précédent article. (Source B. Herzog)

  • Peter von Epfich, féal des Lichtenberg en 1361.
  • Walter von Epfich, soldat en1377.
  • Friedrich von Epfich en 1381 et 1408.
  • Jakob von Epfich en1332.

K. J. Smith apporte quelques éléments :

Jean d’Epfich aurait été conseiller à Strasbourg en 1243. Thierry en 1286, Frédéric en 1408.

Il cite également un Frédéric, chanoine de la Collégiale de Saint-Michel à Rhinau en 1381.

Plus précis, Kindler von Knobloch nous en dit plus :

  • Dietrich marie sa fille Hedwig à Truchsterheim, 1226
  • Conrad est prêtre à Dorlisheim, 1332, puis à Rhinau, 1341, enfin à Colmar 1336-37-42
  • Clara est prieure à Sainte-Elisabeth, 1346-59
  • Creda est prieure à Saint-Marc, 1367, puis abbesse à Sainte-Claire,1381-87
  • Friedrich est cité à Remagen, 1381
  • Lückelina est prieure à Sainte-Marguerite, 1414
  • Peter est doyen à Saint-Pierre le Vieux en 1447

Les Epfich siègent au conseil de Strasbourg de 1296 à 1418. Ils sont également présents à Colmar, Guebwiller, Sélestat, Molsheim et Obernai.

Lisons maintenant que nous dit Josef Gyss à propos des Epfich qui résidaient à Obernai.

‘Les nobles d’Epfich séjournaient aussi dans la Ville (d’Obernai) au quatorzième siècle, en qualité de bourgeois indigènes. L’écuyer Döldelin d’Epfich fut du nombreux des conseillers expulsés en 1339. Mais en 1348, il siégea à nouveau parmi les membres du conseil. Nous avons déjà parlé de George (Gerige) d’Epfich, membre du conseil qui subit la peine de bannissement en 1391, mais qui quatre ans après figure de nouveau parmi les notabilités de la Ville. En 1386, l’écuyer Antoine d’Epfich et son épouse Enneline de Lupfenstein achetèrent des Pilgrin des rentes sur des maisons situées dans le Pilgrinsgasse. Le registre des fondations obitulaires marque aussi le décès des deux époux, avec l’observation qu’Enneline avait été veuve de Cunon de Mittelhus.’

Gyss, Histoire de la Ville d’Obernai

Conclusion

Voilà deux familles nobles installées comme des Rathsamhausen à Obernai et dans les environs. Les Epfich et les Stange côtoient les Rathsamhausen au sein des mêmes conseils, ils les connaissent. Les Epfich comme les Stange ont pu être reçus au château de Lutzelbourg, tout proche. Ces familles nobles avaient des intérêts communs. Un mariage avec les Rathsamhausen devait être recherché…

Kindler von Knobloch cite dans son Livre d’Or de Strasbourg les alliances connues entre les familles.

  • Pour les Epfig : Kindler cite une trentaine d’alliances, dont les Balbronn, les Guirbaden, les Schenck d’Obernai, les Steinhaus de Dambach, les Zorn…. Pas de Rathsamhausen…
  • Pour les Stange, seules deux familles citées : les Bach et les Burggraf de Dorlisheim.
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Nous n’avons rien trouvé de plus…

Lequel des frères Hartmann, Egelolf ou Johann de Rathsamhausen est marié à une demoiselle d’Epfich ou une demoiselle Stange von Ehenheim ? Nous n’avons pas de réponse à ce jour.

Si ces deux familles, Epfich et Stange, semblent des pistes fort crédibles, nous n’avons toujours pas de certitude, nous n’avons percé le secret de notre blason mystérieux du château de Lutzelbourg.

Les recherches se poursuivent.

Sources

Registre des Fondations Obituaires, Archives Municipales Obernai, GG14

B. Herzog, Chronicon Alsatiae, 1592

Bucelinus, Germania topo-chrono-stemmatographica sacra et profana opera, 1670

O. Lorenz, Geschichte des Elsasses, 1871

J. Kindler von Knobloch, Das goldene Buch von Strassburg, 1884-85

J. Gyss , Histoire de la Ville d’Obernai, , 1866

M. Herbig, Ottrotter Schlösser, 1903

K. J. Smith, Nobiliaire d’Alsace, 2018

Illustrations

Photographies, FrP et PiP

Dessins des blasons anciens sauf Leyen, B. Herzog, Chronicon Alsatiae, 1592

Relevé des blasons du Lutzelbourg, AlP

Un grand merci à Jean-Michel Rudrauf pour son aide précieuse et ses conseils judicieux !