Suite à l’incendie qui détruit le Vieux Lutzelbourg, à la fin du 12ème siècle, le seigneur des lieux décide de construire le château qui prendra bien plus tard le nom de Rathsamhausen. La forteresse est alors de dimensions réduites. L’élément marquant est le donjon-palais, tout en hauteur, avec ces quatre niveaux surmontés d’un chemin de ronde crénelé. Nous nous intéressons aujourd’hui, aux salles d’apparat de cette demeure somptueuse.
Le château des sieurs de Lutzelbourg à la fin du 12ème siècle
Nous avons raconté les démêlés ‘fiscaux’ de Conrad de Lutzelbourg avec l’abbesse de Hohenburg, Herrade de Landsberg, dans un article voici quelques mois (cliquez sur le lien). C’était en 1196. Peut-être Conrad était-il le bâtisseur de ce château de l’an 1200.
Le plan retenu est des plus simples : une immense tour de base rectangulaire, à laquelle est adossé, à l’est, un corps de logis. Une petite cour, entourée de hauts remparts, complète le dispositif au nord de la tour. Les créneaux du donjon surplombent le sol de plus de 20 mètres. Fichtre !
On le voit, le château occupait à peine le quart de la surface du Rathsamhausen que nous connaissons aujourd’hui. Sans doute, l’ensemble de la plate-forme était-il toujours occupé par les annexes du château et protégé par les palissades de bois du Vieux Lutzelbourg.
Voici la restitution que propose Thomas Biller dans son étude du site datée de 1975.
L’accès se faisait à l’Ouest par une porte romane aujourd’hui murée. L’encadrement reste bien visible sur le mur ouest de la cour. La cour abritait plusieurs bâtiments de bois et la citerne du château.
Le logis ne comportait que deux niveaux. Il a été fortement remanié au cours des siècles. Ne subsistent de la période romane que les ouvertures en plein cintre du rez-de-chaussée.
Venons-en à la grande tour qui faisait la force du lieu.
Le Donjon-Palais
Nous avons retracé, dans un article passé, le contexte historique de ces années du Petit Interrègne et l’hypothèse de Charles-Laurent Salch sur la parenté entre le donjon du Rathsamhausen et les donjons de Sicile. Le lecteur intéressé se reportera à cet article. (cliquez sur le lien). Thomas Biller penche pour une hypothèse fort différente : les ‘Wohntürme’ seraient une étape de l’évolution des châteaux forts de l’Empire. Thomas recense dans ses textes plusieurs forteresses du sud de l’Allemagne, comparables à notre Rathsamhausen. (Cf. Sources)
Initialement, le donjon-palais était divisé en quatre niveaux.
Au niveau du plateau rocheux se trouvaient les caves du château, éclairées de petits fenestrons romans.
Juste sous le chemin de ronde, les greniers étaient éclairés de la même façon. Ils sont alors couverts d’une toiture en V qui permettait de récupérer les eaux de pluie dans un chéneau central.
Les deux étages intermédiaires étaient ceux dédiés à l’habitation. Le deuxième étage est particulièrement marquant par la richesse architecturale de ses éléments. C’est notre sujet, en voici le plan.
Les salles d’apparat du Rathsamhausen
Sept fenêtres romanes encore en place, une porte richement décorée, deux cheminées d’apparat, et puis une grande bretèche munie d’un système de chauffage peu courant…. Le deuxième étage du Rathsamhausen est une splendeur !
Les dimensions sont impressionnantes : longueur 12,80 mètres, largeur 8,60 mètres. L’épaisseur des murs est de 1 mètre 65. Deux étages de corbeaux permettent de déterminer la hauteur de la pièce : plus de 4 mètres 50 ! Bigre !
Les corbeaux d’un même niveau sont très proches les uns des autres, ils sont tous décorés d’un fin liseré sculpté. On dénombre seize corbeaux sur le mur Nord ainsi que sur le mur Sud. De larges poutres transversales devaient être directement posées sur ces pierres et porter le plancher de l’étage.
Nous n’avons pas trouvé d’éléments probants permettant de partager cette importante surface en plusieurs pièces. La structure de la toiture en V et le poids du chéneau de grès à l’étage supérieur laissent supposer un partage en deux moitiés : une rangée de forts piliers était nécessaire pour porter une telle canalisation. (Plusieurs éléments de ce chéneau sont exposés dans les fossés sud du château). L’emplacement décalé des deux cheminées et la répartition des fenêtres romanes vont également dans ce sens d’un partage en deux moitiés, une au nord, l’autre au sud du bâtiment. D’autres subdivisions sont possibles, mais non démontrées.
On remarque que le mur Ouest ne comporte pas d’ouverture : c’est le côté tourné vers la montagne, celui où on craignait une attaque. Le côté Nord s’ouvre par trois fenêtres qui donnent sur la cour. Sur le versant Est, deux fenêtres et la porte romane étaient situées au dessus de la toiture du logis. Au sud, on trouve deux fenêtres et l’accès à la grande bretèche, ce grand ‘balcon’ de bois qui courait à l’extérieur de la pièce.
La porte romane
Comme de nombreux châteaux de cette époque, le Rathsamhausen ne comporte pas d’escalier intérieur. Les accès à chaque niveau se faisaient par des escaliers de bois extérieurs au bâtiment. La porte du deuxième étage du donjon palais du Rathsamhausen est située dans l’angle Nord-Est. De forme ogivale, côté extérieur, elle était précédée d’une petite bretèche de bois dont subsistent les trois corbeaux et un crochet sur la façade Est. Ce petit balcon surplombait le toit du logis et était à 16 mètres du sol ! Il est probable qu’on accédait à ce lieu par un escalier de bois à partir du rempart nord de la cour du château. Ce chemin était assez incommode, certes. !
Passé l’arc ogival, on entrait dans la pièce d’apparat par une niche en tas de charge décorée d’un damier sculpté. Ce décor est unique !
Les sept double-fenêtres romanes
L’architecte du Rathsamhausen était un homme sérieux, tenant de l’unité de style, et économe de ses idées. Les sept fenêtres doubles de cet étage sont identiques ! Si on ajoute les trois baies de même type en place à l’étage inférieur et les trois restes identifiables, c’est bien treize fois le même élément architectural qui est répété dans la donjon-palais. Simplicité, efficacité !
La structure est étonnante. Vue de l’extérieur, sous un arc de décharge en plein cintre, se trouve une fenêtre double, rectangulaire. Barre d’appui et meneau sont d’un seul tenant, et le linteau est en deux parties. L’intérieur de la niche est divisé en deux ouvertures couvertes par des arcs en plein cintre. Ces fenêtres se fermaient par un système de volets fort curieux. Nous détaillerons cette structure étonnante dans un prochain article.
A ce deuxième niveau, trois fenêtres au nord, deux à l’est, deux au sud.
La fenêtre située à l’Est du mur Nord a été modifiée pour en faire une porte. Les deux baies du mur Est sont partiellement murées.
Les deux cheminées
Lorsque vous entrez par notre porte romane (sic), directement à votre gauche, se dresse une magnifique cheminée cernée de colonnettes. Quatre des six colonnes primitives sont encore en place, monolithes cylindriques taillés dans un grès très fin. Chaque colonne portait un chapiteau ouvragé. Cinq sont encore présents. En forme de corolle, chaque chapiteau est décoré de deux bandes étroites étoilées qui se croisent en leur milieu, des palmettes complètent le décor. On ne peut qu’admirer l’élégance de l’ensemble.
Nous étudierons plus avant cette cheminée dans un prochain article.
Dans l’angle opposé de l’étage, sur le mur ouest, une seconde cheminée de dimensions identiques est implantée. Malheureusement, les colonnettes ont disparu et seul un chapiteau, analogue à ceux décrits plus haut, subsiste.
La grande bretèche
Sur le mur sud, outre les deux fenêtres doubles déjà décrites s’ouvre une porte ogivale, aujourd’hui à demi murée qui donnait accès à une immense bretèche. Cette construction reposait sur huit corbeaux encore en place et était accrochée au mur sud par quatre immenses crochets de pierre. Plaquée contre la muraille par son propre poids, cette passerelle était couverte comme l’indique la corniche de pierre qui domine l’ensemble. Les dimensions sont les suivantes : longueur 7 mètres 30, hauteur 2 mètres 30 environ. On peut augurer une largeur comprise entre 1 mètre et 1 mètre 50.
Cette construction de bois domine de 16 mètres le rocher, et plus encore les fossés sud. C’était, en cas d’attaque, le lieu où les archers pouvaient se placer pour défendre la place, soit par leurs flèches, soit en projetant des pierres sur les assaillants.
Nous avons demandé à notre ami Raoul de dessiner cette bretèche. Notre artiste a représenté la bretèche sans son bardage de planches afin que vous puissiez appréhender la structure et la fixation de l’ensemble. Mais, au moyen âge, l’ensemble était totalement fermé par des planches et muni de volets amovibles.
Notez que Raoul a fort bien reproduit le détail des deux fenêtres doubles qui entourent la bretèche.
Le système de chauffage du Rathsamhausen de l’an 1200
Nous allons voir que la grande bretèche avait en temps de paix une utilité plus quotidienne.
A son extrémité Est, on observe une ouverture qui n’est ni une porte , ni une fenêtre. Coté extérieur, un arc ogival bas (~1,25 mètre). La base est située nettement au dessus du niveau du sol. Cette ouverture est aujourd’hui murée. Coté intérieur, la forme est vraiment étonnante : la niche est fermée par un mur de briques fuyant vers l’intérieur du mur. Dans ce mur de briques, un orifice carré de 50 cm de coté a été aménagé. Ce dispositif est des plus curieux, et nous n’en connaissons pas de semblables dans nos châteaux d’Alsace.
Voyons en quelques mots la lecture que fait Thomas Biller de ce dispositif. Les personnes intéressées se reporteront à son article, cité dans nos sources.
Selon Thomas, il s’agirait du premier dispositif de chauffage du palais de Rathsamhausen. Les grandes cheminées à feu ouvert n’étaient pas vraiment efficaces et l’architecte avait imaginé le dispositif suivant. Dans l’épaisseur du mur, dans la niche ogivale, un feu était entretenu. Les braises étaient alors poussées de l’extérieur dans la cavité carrée, vraisemblablement sur un brasero de métal. Les parois de briques réverbéraient, grâce à leur forme concave, la chaleur vers l’intérieur de la pièce. Ingénieux ! ! !
Ce système ‘innovant’ était répété au premier étage du château, sur le mur nord. Etait-il vraiment efficace, nous ne saurions en juger. Nous sommes un peu avant l’an 1200. Bientôt les premiers poêles à pots, précurseurs de nos poêles de faïence, les kachelofen feront leur apparition dans les châteaux forts. Le système de braseros du Rathsamhausen sera sans doute alors délaissé.
Voici une aquarelle de Raoul qui regroupe les trois éléments les plus marquants du deuxième étage du Rathsamhausen : la cheminée, la porte romane et les système de chauffage par brasero. Merci Raoul !
Imaginez la scène. Le sieur de Lutzelbourg déjeune en famille devant la cheminée d’apparat où mijotent les viandes dans un vaste chaudron. Les braseros réchauffent la pièce d’une douce chaleur. Les mets se succèdent dans les plats d’étain, le Rouge d’Ottrott emplit les verres. Il fait bon vivre…
Au même moment, les serviteurs, en plein vent d’hiver, perchés sur la grande bretèche alimentent le feu du seigneur. La vie n’était pas la même pour tous.
1200-2017, qu’y a-t-il de changé ?
Sources
C.L Salch, Le Château de Rathsamhausen-Ottrott,1974
- Biller, die Ottrotter Schloesser, 1975
C.L. Salch, La Clef des châteaux forts d’Alsace, 1995
Illustrations
Schémas des lieux, PiP
Photographies, PiP
Les aquarelles de Raoul Geib, artiste peintre à Saint Nabor
La restitution du Rathsamhausen de 1200, Thomas Biller, tirée de l’article susnommé