Le village d’Ottrott est renommé pour son vin rouge remarquable. Le petit bourg alsacien est dominé par deux ruines de châteaux affrontés. Pourquoi deux burgs si proches sur ce versant du Mont-Sainte-Odile, au dessus de la plaine d’Alsace ? C’est une longue histoire….
Le premier château d’Ottrott : le Lutzelburg
Selon les archéologues qui ont travaillé sur le site, un premier château dominait déjà Ottrott peu après l’an mil ! Le ‘château’ était alors bien différent de ceux que nous admirons aujourd’hui. Une palissade cernait le haut de la colline, les bâtiments eux-mêmes étaient en bois. Seules les fondations étaient maçonnées.
Les Eguisheim sont alors les seigneurs qui protègent les abbayes de Hohenburg et de Niedermunster, sur le Mont-Sainte-Odile. Le Lutzelburg est ainsi appelé ‘petit château’ par opposition au château de Hohenburg, le vieux burg d’Adalric, père de Sainte Odile. Situé sur le chemin qu’empruntent les pèlerins, partis d’Obernai pour atteindre Sainte-Odile, le burg apporte protection à tous les visiteurs du Mont.
Lorsque l’empereur Henri V se lance dans ses campagnes en Italie, il nomme Frédéric et Conrad de Hohenstaufen, princes souabes, vicaires de l’Empire. C’est le début d’une période terrible pour l’Alsace, Frédéric le Borgne s’attaque aux châteaux des Eguisheim pour asseoir la présence des Hohenstaufen en Alsace.
En l’an 1114, Frédéric dévaste le Mont-Sainte-Odile. C’est vraisemblablement à cette occasion que le Lutzelburg est livré aux flammes.
Reconstruction par les Hohenstaufen
Quelques décennies plus tard, les Hohenstaufen sont devenus Empereurs et se sont arrogés le titre d’avoué des abbayes du Mont-Sainte-Odile. C’est dans cette fonction de protecteurs du Mont qu’ils vont reconstruire une forteresse au dessus d’Ottrott. Les cinq empereurs de la lignée, Conrad, Frédéric Barberousse, Henri VI le Cruel, Philippe de Souabe et Frédéric II feront effectuer de multiples campagnes de travaux à Ottrott. Nous leur devons le magnifique donjon-palais d’ Ottrott, de style normand, unique en Alsace. Pour sa construction, les Hohenstaufen se sont inspirés des châteaux siciliens rencontrés lors de leur conquête du sud de l’Italie. Nous consacrerons prochainement un article au donjon-palais du Rathsamhausen. Aujourd’hui, nous cherchons à comprendre la présence du deuxième château d’Ottrott.
Le Grand Interrègne
Le dernier empereur de la lignée des Hohenstaufen fut fort controversé. Frédéric II fut surnommé ‘stupor mundi’ par ses contemporains, c’est dire combien sa personnalité et sa politique ont surpris. Elevé à Rome, Frédéric parlait plusieurs langues dont l’arabe et l’hébreu. Parti en croisade, il se lie d’amitié avec le sultan Malik el Kamel. Entouré de mathématiciens de philosophes et d’artistes italiens et arabes, c’est un homme du sud, plus italien qu’allemand. Homme de plume, il est l’auteur d’un traité de fauconnerie. Frédéric vivait entouré d’une cour fastueuse, parfois vêtu à l’orientale, entouré de jeunes femmes de différents pays. Voici la traduction du début d’un poème de Frédéric, écrit en italien, bien entendu.
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Malheur à moi, car ne pouvais savoir
Quelle douleur me coûterait
De me séparer de ma dame.
A peine eus-je quitté ma belle
Que seule la mort m’a paru désirable.
Croyant qu’elle me suivait de près,
Jamais je n’ai souffert comme au moment
Où, derrière mon vaisseau, la côté disparut,
L’emportant avec elle. Je crus vraiment
Qu’il me faudrait mourir
Si ne retournais promptement au port.
Ce que je vis en maints pays lointains
Ne put m’arracher au chagrin.
Et si fort m’étreignent
Les chaînes du désir
Que n’ai d’espace où reposer
En sorte qu’en nul lieu
Ne puis trouver la paix.
A une fleur de Syrie, Frédéric II de Hohenstaufen
—
Frédéric était en lutte constante avec la Papauté. Le pape Grégoire IX appelait Frédéric l’Antéchrist et l’avait excommunié. En Alsace, le parti de la Papauté était mené par les évêques de Strasbourg et le ‘contre empereur’ Henri le Raspon. A la fin du règne de Frédéric et après sa mort, une longue période d’instabilité va s’ouvrir, le Grand Interrègne, qui perdurera jusqu’à l’avènement d’une nouvelle dynastie les Habsbourg.
C’est lors de ces troubles que le site d’Ottrott voit apparaître son deuxième château.
Rathsamhausen et Lutzelburg
Les Hohenstaufen disposaient d’un grand nombre de forteresses en Alsace. Dans chacune d’elles, ils avaient installé une famille de proches, d’alliés chargés de les représenter et de défendre leurs droits. A Ottrott, comme dans beaucoup d’autres lieux, les ministériels ont pris le nom de la place qu’ils occupent. Gyss cite un ‘Conradus de Lucelenburc’ signataire d’une chartre de donation datée de 1196. Les Lutzelburg éaient les seigneurs du château d’Ottrott. Plusieurs abbesses de Hohenburg semblent être issues de cette famille.
Au début de l’Interrègne, les Lutzelburg sont donc les alliés des Hohenstaufen. Y aurait-il eu dissension au cœur de la famille ? Ou bien les Lutzelburg sentant le vent tourner se sont-ils ralliés en bloc à l’évêque et à la papauté ? En l’absence de documents, nous ne saurions nous prononcer.
C-L. Salch penche pour la seconde solution et pense que le burg est passé à l’évêque Henri de Stahleck en 1246. Le parti impérial serait alors venu assiéger son propre château pour le reprendre à l’ennemi. Situation intéressante qu’on retrouve à la même période aux châteaux de Dreistein. ! Toujours est-il qu’une tour puis une bastille sont érigées à l’extrémité orientale du site, face au Lutzelburg. Voici la reconstitution proposée par Salch des deux burgs à la fin du siège.
Pendant des années, on parlera de ‘Vorderlutzelburg’, pour la bastille, et d’ ‘Hinterlutzelburg’ pour le château des Hohenstaufen et son donjon palais.
La famille de Rathsamhausen n’apparaît à Ottrott qu’un siècle plus tard. En 1392, l’empereur Wenceslas leur reconnaît la propriété des lieux. C’est plus tard encore que les dénominations actuelles des deux châteaux sont adoptées : Rathsamhausen pour le château des Hohenstaufen, Lutzelbourg pour la bastille de 1246.
Balade
Le site des châteaux d’Ottrott fermé au public depuis 2001 pour raison de sécurité, ré ouvre progressivement ses portes grâce à l’association « les amis des châteaux d’Ottrott ». Pour plus d’informations sur l’organisation d’une visite, envoyez nous un mail à amchott@orange.fr ou un message dans la page « contact » de ce site . Les ruines sont superbes ! Nous proposons aux marcheurs de monter sur le promontoire du Koepfel, c’est de là qu’ils pourront voir au mieux l’ampleur et la beauté du site.
Au retour, pour les amateurs de Rouge d’Ottrott, nous conseillons un arrêt chez Eber, producteur respectueux des traditions et de l’environnement. Dites-lui que vous venez de ma part !
Sources
Gyss, Histoire de la Ville d’Obernai, 1866
C-L. Salch, Les deux châteaux d’Ottrott,1992
C-L. Salch, Donjons-Palais romans d’Ottrott et d’Adrano, 1998
Benoist-Méchin, Frédéric de Hohenstaufen, 2006
Illustrations
Frédéric II de Hohenstaufen à Palerme, Fresque de Hermann Wiliscemus, 1780
Reconstitution des châteaux, C-L. Salch
Photographies des châteaux, GaD AMSO
Lithographie de Naeher, reconstitution romantique des châteaux d’Ottrott, 1890
Lithographie d’Engelmann, selon un dessin de Bichebois, ~1830
Les entrées de nos châteaux au démarrage des travaux