Depuis quelques mois, le bergfried du Rathsamhausen est cerné d’un immense échafaudage et les équipes de la société Chanzy-Pardoux travaillent sur la tour. Dans quelques semaines, les travaux seront terminés et le donjon sera débarrassé de son carcan de métal. C’est le moment de vous dire quelques mots de cette belle aventure.
Etat des lieux au début du mois de juin 2019
Lorsque nous sommes montés pour la première fois sur le bergfried, nous ne savions pas vraiment ce que nous allions trouver. Les images prises par drone nous avaient convaincus de l’urgence d’une intervention, mais nous ne mesurions pas l’ampleur des dégâts du temps. Voici quelques images prises avant toute intervention.
Personne n’était plus monté sur le bergfried depuis l’équipe de cordistes envoyée par Monsieur Salch dans les années quatre-vingt. En une quarantaine d’années, la terre et les feuilles apportées par le vent, les graines, les premières herbes avaient créé un terreau suffisant pour accueillir un véritable bosquet tout en haut de la tour. Sur les quelques 225 m² de la couronne, nous avons du évacuer environ 8 m³ de terre !
Les racines des véritables arbres, sapins, bouleaux, avaient soulevé les pierres, les derniers merlons s’étaient effondrés, le petit escalier était inaccessible. Le grande brèche présentait des pierres en équilibre très instable. Il était grand temps d’agir.
Le couronnement du donjon
Une fois la végétation ôtée, il nous fut possible d’analyser le haut de la tour. Lors de sa construction au XIIIème siècle, le sommet portait merlons et créneaux. Les images anciennes, dessin de Silbermann (1780) et l’aquarelle de Louis Laurent-Atthalin (1835) montrent le sommet du bergfried et ses créneaux. Sur l’aquarelle, Louis, toujours précis, indique les différentes lignes de pierre qui dépassent du parement en pierres à bosse. Il s’agit des supports qui portaient les hourds, chemin de ronde en bois qui couronnait la tour.
En 1898-9, une campagne de travaux avait été entreprise pour stabiliser le donjon. Les règles de restauration étaient bien différentes à cette époque. Nos prédécesseurs ont pris quelques libertés mais ont respecté autant que possible la position des corbeaux et crochets.
Voici le détail des lignes de pierres encore en place :
- le larmier (Réf.1) ( situé à 1m90 du sommet de la tour ). Une couronne est placée en saillie du parement. Le larmier protégeait le sommet de la toiture des hourds, celle-ci devait être de bardeaux. De place en place, le larmier fait place à de petites consoles (Réf.4) qui portaient la structure supérieure, également de bois. Aujourd’hui, 22 consoles sont encore en place. Elles devaient être 25 à l’origine. Trois manquent au niveau de la grande brèche.
- Les crochets (Réf.2) (situés à 2m45 du sommet) portaient les poutres de la toiture des hourds. Ils sont situés, comme il se doit, juste au dessous du larmier. Aujourd’hui, seuls deux crochets sont d’origine. Lors des travaux de 1898-9, les autres crochets ont été simulés par de petites consoles. Ils devaient être au nombre de 18 pour ceindre l’ensemble de la tour.
- Les grandes consoles et corbeaux (Réf.3) (situés à 4m65 du sommet) portaient le sol du chemin de ronde. Aujourd’hui, 20 ensembles console+corbeau sont encore en place. Trois manquent au niveau de la brèche. Parmi les 20 ensembles présents, quatre d’entre eux sont dans la configuration d’origine : ils sont surmontés par un ope, orifice où était logée la poutre porteuse des hourds. Les autres opes ont été murés lors de la réfection de 1898-9.
Vous pouvez retrouver le détail de ces pierres et leur localisation sur le schéma suivant.
S’il est aisé de se représenter le chemin de ronde qui ceinturait le donjon quelques mètres au dessous des créneaux, la structure supérieure n’est pas si facile à imaginer. Nous ne disposons que des petites consoles et des opes qui traversaient les merlons. Voici ce que nous propose, Thomas Biller dans son étude du donjon datée de 1975.
Et voici l’explication proposée :
‘Le point le plus intéressant sont les détails du couronnement de la tour, qui est déjà tombé à plusieurs reprises mais a été correctement remis en place. Là-haut, tout autour et superposés, on peut voir les aménagement suivants : des corbeaux doubles avec au dessus un ope de boulin., puis environ 2 m au dessus, des corbeaux en crochet, puis la corniche du raccord d’un toit, dans celle-ci, de nouveau des corbeaux avec opes de boulins, et enfin les vestiges de hauts merlons d’environ 2 m. On comprend que la partie basse de cet ensemble indique clairement un chemin de ronde en bois posé sur les corbeaux. (Il devait restreindre l’utilité des créneaux !). Mais pourquoi les corbeaux du haut ? Un deuxième chemin de ronde n’aurait pas de sens, de plus, les corbeaux sont simples et ne portaient qu’une construction plus légère, devant les créneaux. Après arbitrage entre les diverses possibilités, on peut proposer ce qu’on appelle, en allemand, un ‘Wehrgangschirm’, dont le plus ancien exemple encore en place ne date que du 15ème siècle (L’expression ‘Wehrgangschirm’ est apparue pour la première fois chez R. Schlegel, la forteresse de Hohensalzburg, 1952. Puis Piper 1967). Il s’agit d’un mur de fortes poutres ou de madriers, qui se trouve devant les merlons, il possède des petites ouvertures, genre d’archères, et offre une bien meilleure protection pour les défenseurs sans les gêner pour autant. Le chemin de ronde inférieur, en bois, était accessible par une porte, dont il manque aujourd’hui la partie supérieure et dont le seuil est légèrement au dessus du chemin de ronde, sans doute qu’on y accédait par un escalier à partir de la plate-forme sommitale.’
Thomas Biller, die Ottrotter Schloesser, Teil 2, 1975 Notre artiste Raoul Geib s’est également essayé à la restitution du sommet du donjon. Merci Raoul !
Le dernier merlon et l’escalier des hourds
Au début de cet article, nous vous avons montré le haut du donjon tel que nous l’avons trouvé début juin. Voici maintenant des images qui vous présentent les restaurations en cours d’achèvement.
Il s’agit du petit escalier qui permettait de rejoindre le chemin de ronde à partir du sommet de la tour : six marches de hauteurs inégales ( 23 à 30 cm) pour une largeur de 60 cm. C’est la seul escalier de pierre de la tour. Le passage entre les différents niveaux de plancher du donjon se faisait sur des escaliers de bois, voire des échelles, situées à l’intérieur de la tour.
Voilà le merlon datant de l’Interrègne, remis en place par nos soins. On remarque les deux opes où étaient logées les poutres portant le ‘Wehrgangschirm’ de Thomas Biller. Nos amis de Chanzy-Pardoux ont fait du bon travail, merci Julien !
Hommage à nos anciens
Nous l’avons dit plus haut, une campagne de restauration du donjon a eu lieu en 1898-9. Je ne sais pas comment la tour avait été échafaudée, quoique… et nous n’avons que peu de documents explicitant le détail des travaux effectués alors. Deux brèches menaçaient la tour, une située dans la cour sur le versant ouest et la deuxième coté sud-est.
Il semble que les travaux aient été confiés par la famille Scheidecker (propriétaires) et la Société pour la Conservation des Monuments Historiques d’Alsace à la société Naegele. En 1898, les deux brèches sont comblées et le couronnement ‘restauré’.
Une chape a été coulée en haut de la tour avec deux évacuations des eaux de pluie à l’est et à l’ouest, ouvertes sous le larmier et constituées de deux chéneaux récupérés dans les ruines. Les ouvriers ont gravé leurs noms dans le ciment de la chape, voici quelques uns des fragments retrouvés.
Malheureusement, à la suite du tremblement de terre du 12 février 1899, la brèche ouest s’effondre et les travaux doivent être repris l’été suivant. Cette deuxième campagne semble menée avec moins de soins que la première. C’est à cette occasion que sont posés les fers en bordure de la brèche. Ces ferrures sont ‘épinglées’ dans la maçonnerie de blocage. Sur l’un des fers, on peut lire ‘ Charpentier Ottrott’. Il s’agit d’un artisan qui travaillait à la forge des Carrières de Saint-Nabor à cette époque. Il était aussi actif au couvent du Mont Sainte-Odile.
Il y a peu, j’ai eu le plaisir de recevoir aux châteaux, monsieur Hubert Schreiber qui m’a parlé de son grand-père Karl Sutter qui aurait participé à ces travaux de 1898-99. Hubert a eu la gentillesse de me confier deux photos, prises quelques années plus tard. Karl avait alors quitté Naegele pour créer sa propre entreprise de maçonnerie. On le voit sur une échelle devant un petit échafaudage avec son équipe en 1906, puis quelques années plus tard en 1914. Merci Hubert !
Bravo et merci à nos prédécesseurs ! Sans eux, nous n’aurions plus notre bergfried, le donjon circulaire du château de Rathsamhausen.
Illustrations
Photographies, EtF
Schéma du sommet du donjon, PiP. Relevé des côtes, EtF
Aquarelle de Louis Laurent-Atthalin, 1835
Restitution du donjon, aquarelle de Raoul Geib, 2018
Nous avions consacré un autre article à la porte d’accès à l’intérieur du bergfried. (cliquez sur le lien).