Nos ancêtres du 12ème et 13ème siècles n’ont pas construit le Rathsamhausen et le Lutzelbourg pour faire du jardinage ! Les deux forteresses sont bel et bien édifiées dans un but guerrier : défendre les couvents du Mont-Sainte-Odile et, puis, bien entendu, pour affirmer la puissance des nobles occupants des lieux. Cependant, les années, les lustres ont défilé et les occupants des châteaux ont désiré manger quelques légumes, voulu épicer leurs menus, se soigner aussi. Ainsi sont apparus les premiers jardins des châteaux médiévaux.
Les jardins du moyen âge
Le moyen âge ne connaissait ni la pomme de terre, ni la tomate. Les premiers potagers proposaient fèves, haricots, pois, topinambours, carottes et choux. Les épices devaient être ceux qui poussent naturellement dans notre région : menthe, serpolet, origan…
Les jardins médicinaux supposaient la présence d’un herboriste ou tout du moins d’un connaisseur : ils furent dans un premier temps réservés aux couvents, où les moines cultivaient les ‘simples’.
Difficile de dire à quelle époque, les jardins sont venus améliorer la vie des châteaux. A la Renaissance, ils sont cependant attestés par de nombreuses gravures. Témoin ce dessin du Landskron publié par Merian dans Topographia Germaniae en 1663.
Les jardins sont installés dans les lices basses du château. Ils sont composés de plates-bandes régulières.
Les cartes postales anciennes montrent, devant les lices du Lutzelbourg, une large surface plane, peut-être la trace d’un ancien jardin.
Les travaux de l’équipe de Charles Laurent Salch à Ottrott
Le Centre d’Archéologie Médiévale de Strasbourg a travaillé sur le site des châteaux d’Ottrott durant une trentaine d’années. Entretien du site, fouilles archéologiques, consolidation des ruines, recherches historiques, publications, le travail effectué est considérable.
C.L. Salch voulait agrémenter la visite des ruines. Il a décidé de réimplanter des jardins dans les fossés et lices, là où selon le résultat de ses fouilles, il en avait trouvé des vestiges. Le plan de travail était le suivant :
- Jardinet médiéval de plantes médicinales dans le fossé sud du Rathsamhausen
- Jardin de la Renaissance dans les lices sud du Lutzelbourg
- Amphithéâtre de verdure devant la Maison du Lutzelburg
- Potager de la Renaissance dans les fossés ouest du Lutzelbourg (resté à l’état de projet)
En 1989, un petit livret est paru ‘Les Jardins des Châteaux d’Ottrott’. Dans cet opuscule, très agréable à parcourir, A.H. Caille explique comment les jardins ont été redessinés à partir d’exemples anciens, comment plus de soixante espèces végétales ont été sélectionnées et réimplantées à Ottrott. Les principales espèces sont décrites, ainsi que leurs vertus. Armoise, alsine, bardane, bourse-à-pasteur, cétarach, chélidoine, clématite, églantier, éranthe, euphorbe, herbe-à-robert, hémérocaille, lierre, linaire, mauve, menthe, molène, origan, orpin, ortie, oseille, pervenche, rue-des-murailles, serpolet, sisymbre, sureau, joubarbe, agripaume, asaret, belladone, berce, sceau de Salomon….
Voici le paragraphe qui concerne la berce, si prolifique devant le Lutzelbourg.
Berce, Heraclum sphondylium, heraclum mantegazzianum.
Noms régionaux : Bärenklau, Baradoba, Baratatza.
Plante d’Europe de l’est et de Sibérie, qui pousse dans les plaines humides et les lisières des forêts. Sa variante cultivée est importée au 16ème siècle. Elle viendrait de Pologne où l’on faisait de ses fleurs et feuilles bouillies, puis fermentées, un bouillon acide que l’on appelle ‘bartsch’ d’où le nom de ‘berce’. Dans nos régions, les feuilles étaient utilisées comme aromate. On l’employait contre la dysenterie et comme anti-spasmodique et anti-hystérique. On l’appliquait sur les furoncles et abcès. Les poils qui hérissent la tige provoquent des réactions allergiques !
Présente au Dreistein, Guirbaden, Nideck, Lutzelbourg.
Admirez cette restitution du Lutzelbourg, dessinée par C. Remy, avec son jardin Renaissance.
Le projet des Amchott
Lorsque nous sommes entrés dans les ruines voilà quelques mois, une véritable forêt de recouvrait le jardin Renaissance, les ronces recouvraient le jardin médiéval et le théâtre de verdure. Les Amchott ont commencé par débroussailler les lieux.
Le Jardin RENAISSANCE du LUTZELBOURG :
Aujourd’hui, notre Atelier Jardin a entamé la réhabilitation du jardin Renaissance. Arracher les souches, remettre en place les murets, assainir les allées, vider le petit bassin central. Les bénévoles ont de longues heures de travail devant eux ! Bientôt, Monique et son équipe remettront en place les espèces sélectionnées par l’équipe de C.L. Salch, et de nombreuses fleurs.
Parallèlement, notre Atelier Maçonnerie a entrepris la réfection des murs des lices sud du Lutzelbourg qui longent le jardin. Reprise des arases et des joints. Ainsi, le jardin Renaissance retrouvera sa beauté et offrira un bel espace devant les ruines du Lutzelbourg.
Deuxième étape du projet : le théâtre de verdure.
Le jardin médiéval du Rathsamhausen devrait suivre…
Qui dit Jardin, dit Hortus !
Nous ne pouvons quitter cet article consacré aux jardins sans un clin d’œil au jardin d’Herrade de Landsberg, l’Hortus Deliciarum. Notre Herrade, dans les centaines de miniatures de son codex, notre Herrade n’a pas représenté un seul jardin, au sens propre du terme. Sans doute la bonne abbesse du Mont-Sainte-Odile avait-elle plus en tête l’éducation de ses moniales que celle de ses jardiniers. Regardez cependant ce dessin tiré de l’Hortus !
Herrade représente la Terre, après le jour du jugement dernier. Notre terre serait alors un magnifique parterre de fleurs multicolores. Gageons que Monique et les Amchott sauront s’inspirer de ce modèle pour leur nouveau jardin !
Illustrations
- Restitution du jardin renaissance du Lutzelbourg, C. Rémy, 1989
- Le Landskron, Merian Matthäus, Topographia Germaniae, 1663
- Schéma du projet des Amchott, PiP
- Cartes postales ~1900 des châteaux, collection PiP
- Photographies, PiP
- Nova terra, Herrade de Landsberg, Hortus Deliciarum,12ème siècle
Sources
- T. Biller, Château de Lutzelbourg, 1975
- A.H. Caille, C.L. Salch, Les jardins des Châteaux d’Ottrott, CAMS, 1989
Post scriptum
Nous avons mentionné plus haut que l’asaret était cultivée à Ottrott. Chez nous, son nom commun était Haselwurtz. Elle passait pour dissiper l’ivresse. Bigre ! En fait, c’est un vomitif et un expectorant. Charlemagne la faisait déjà cultiver dans ses jardins. On disait qu’elle traitait efficacement la jaunisse ! Aujourd’hui, elle est classée parmi les plantes vénéneuses dangereuses !
Les deux photographies qui précèdent datent de la fin du siècle passé. Vous y voyez le jardin dessiné par l’équipe de C.L. Salch et sa mise en fleurs par les bénévoles de l’époque !
Gloire à nos aînés !
Et merci à André à qui nous devons ces belles images !